Délaissée par les majors, Susan Graham s’est réfugiée chez la firme Onyx. Et comme chaque disque doit avoir son concept, c’est la diversité des figures féminines que souligne la formule Virgins, Vixens and Viragos, soit « Vierges, Vipères et Viragos ». Chronologiquement, on passe en effet de la Vierge Marie de Purcell à la Lady Macbeth mise en musique en 1970 par Joseph Horovitz. Mais surtout, par-delà ce prétexte, Susan Graham profite de l’occasion pour nous montrer un peu tout ce qu’elle fait de mieux, grâce à un parcours qui lui permet de visiter les différents répertoires où elle s’est illustrée. La mezzo américaine a enregistré Dido and Aeneas avec le Concert d’Astrée ? La voici dans une pièce moins couramment entendue, la « Supplique de la Sainte Vierge », surtout gravée par des sopranos. Une voix plus grave donne évidemment plus de poids à la désolation de Marie avant qu’elle retrouve son Fils parmi les docteurs ; dommage pourtant qu’elle soit accompagnée par un très anachronique piano, même si c’est l’excellent Malcolm Martineau qui en joue. On doit à Susan Graham une belle version des Nuits d’été ? Elle nous offre « La Mort d’Ophélie », superbe pièce qui montre une fois de plus tout ce que Berlioz doit à Shakespeare. La mélodie française dans son ensemble n’a plus de secrets pour elle ? On trouve ici la « Romance de Mignon » de Duparc, et Poulenc est superbement représenté, avec l’ensemble des Fiançailles pour rire, où la chanteuse s’autorise peu à peu plus de liberté. En effet, jusque-là, le moelleux du timbre ravit l’oreille, mais on aimerait parfois plus de mordant. « Fleurs promises », la dernière mélodie du cycle, est murmuré, d’un admirable fil de voix, et pour « Violon », Susan Graham s’encanaille très nettement, avec des intonations plus marquées, des glissandis coquins, processus qui atteint son comble dans la phrase « le cœur en forme de fraise s’offre comme un fruit inconnu », susurré avec une suffocante sensualité. Cette science du glissando on la retrouve dans les célébrissimes Chemins de l’amour, où elle n’a rien à envier à Yvonne Printemps, en la matière. Susan Graham a aussi à cœur de défendre les compositeurs américains ? Ce récital fait place au nostalgique « Ages Ago » de Vernon Duke, à la gaudriole de « The Physician » de Cole Porter, à un humour irrésistible dans l’interprétation de la chanson de Stephen Sondheim, parodie de The Girl from Ipanema.
La mezzo s’autorise aussi quelques incartades dans des territoires qu’elle a moins fréquentés. Bien qu’elle ait gravé les Zigeunerlieder de Brahms, le romantisme allemand est un domaine où elle a laissé peu de traces. On se réjouit donc de l’entendre dans un groupe de mélodies inspirées par la Mignon de Goethe : en allemand, avec Schubert, Schumann, Liszt et Wolf, mais aussi en français, avec le Duparc mentionné plus haut, et même en russe, avec une mélodie de Tchaïkovski (que Marlis Petersen avait pour sa part enregistrée en allemand dans son disque consacré à Goethe). Enfin, rareté absolue, les trois extraits de Macbeth mis bout à bout pour composer la « scena » Lady Macbeth, composée par le Britannique d’origine autrichienne Joseph Horovitz : hélas, on n’a là affaire qu’à une très pâle imitation de Britten, sans rien de la violence du texte de Shakespeare. Il est louable de chercher l’inédit, même si on ne gagne pas à tous les coups. Et malgré la chevelure peroxydée qu’elle arbore sur les diverses photos du livret d’accompagnement, le vraie brune qu’est Susan Graham prouve là encore que les fausses blondes ne comptent pas pour des prunes.