De passage à Paris en août 1778, Mozart annonça dans une lettre à son père que « M. Bach de Londres » allait écrire un opéra pour Paris. La commande passée à Johann Christian Bach, ainsi surnommé parce qu’il passa en Angleterre les vingt dernières années de sa vie, inspira à Wolfgang Amadeus le commentaire peu amène qui sert de titre à cet article, parce que les Français étaient selon lui des incapables : « Ils doivent toujours avoir recours à des étrangers ». De fait, Paris était alors partagé entre Gluck et Piccinni ; avec Amadis de Gaule, J.C. Bach tenta d’ouvrir une troisième voie, ce que le public n’accepta pas, d’où l’insuccès de sa tragédie lyrique, abandonnée après sept représentations. Les Français étaient bien des ânes, car c’est une œuvre magnifique qu’ils condamnèrent ainsi à l’oubli, probablement plus intéressantes que les opéras italiens du même compositeur, où les airs s’enfilent comme un collier de perles. Le livret laisse un peu à désirer, par manque d’authentiques passions à mettre en musique, mais il se prête à l’insertion de divertissements avec chœurs et ballets (notamment le superbe Tambourin concluant le deuxième acte), ce qui est une grande qualité dans une tragédie lyrique. Et la preuve que les Français sont restés des ânes, c’est que plus de deux siècles après, quand cet Amadis fut remonté, on prit bien soin de l’enterrer sous une mise en scène chichiteuse, un vague « à la manière de » qui en étouffait tout le potentiel dramatique sous les perruques et les toiles peintes, et empêchait d’apprécier la musique à sa juste valeur, en faisant appel à divers chanteurs étrangers dont la présence ne se justifiait guère, dans la mesure où leurs qualités vocales ne compensaient pas toujours leur manque d’aisance en matière de déclamation de notre langue.
Cette production, donnée d’abord à Versailles en décembre 2011, puis à l’Opéra-Comique en janvier 2012, était donnée par un autre orchestre et un autre chef (Jérémie Rhorer et le Cercle de l’harmonie). Seul lien entre le spectacle et le disque : Philippe Do, Amadis dans l’un comme dans l’autre. Ce ténor français, révélé à Compiègne dans Noé de Bizet ou Fra Diavolo d’Auber, reprendra d’ailleurs Amadis avec la même équipe en mai 2013 à Ljubljana. On apprécie la netteté de son phrasé et, au final du troisième acte, l’agilité de sa vocalisation. Le côté monolithique d’un personnage uniformément vaillant ne lui permet guère d’en approfondir le portrait. Lors des représentations, c’est surtout le personnage de la « méchante » qui avait retenu l’attention : de fait, le livret gâte particulièrement cette Arcabonne qu’incarne ici admirablement Hjördis Thébault, d’une voix pleine et timbrée, à laquelle s’adjoignent de solides qualités d’actrice, indispensable pour ce personnage partagé entre la haine et l’amour. Son double masculin dans la vilénie, son frère Arcalaüs, est confié à son époux à la ville, Pierre-Yves Pruvot, dont la majesté impressionne. Après avoir été Oriane dans l’Amadis de Lully en février 2010 (où Hjördis Thébault était Urgande), Katia Velletaz retrouve le personnage dans l’opéra de J.C. Bach. La voix est extrêmement dramatique, ce qui est fort bienvenu pour rendre plus intéressante cette malheureuse princesse, mais la prononciation est souvent bien confuse. Bravo à Liliana Faraon, qu’on a beaucoup entendue à Paris à l’époque où elle faisait partie de la troupe de l’Opéra-Comique : elle est ici un superbe Coryphée au finale du deuxième acte, avant de prononcer les quelques répliques que conserve Urgande par rapport au livret original mis en musique par Lully, où son rôle était bien plus développé. L’orchestre Musica Florea est dirigé avec énergie par Didier Talpain, qui fait résonner cette musique avec toute la vigueur qui convient pour nous en faire reconnaître la valeur, et il montre que les Français ne sont pas forcément des ânes de recourir à des étrangers, puisque la formation pragoise sonne fort bien, et que les différentes voix issues des chœurs pour de petits rôles rendent amplement justice à la langue de Quinault.
On signalera pour mémoire qu’il existait jusqu’ici un enregistrement de cet Amadis, mais en version allemande, enregistrement que la présente version relègue inévitablement au rang de simple curiosité, d’autant plus que les interprètes dirigés par Helmut Rilling n’étaient guère de nature à susciter un intense intérêt.