« Mamamouchi; c’est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens… Paladin enfin. Il n’y a rien de plus noble que cela dans le monde, et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre », explique le rusé valet Covielle à Monsieur Jourdain. Dans l’enregistrement des Paladins de Rameau que publie Coviello Classics, les chanteurs ne s’expriment pas tout à fait dans le sabir inventé par Molière pour Le Bourgeois gentilhomme, mais il va de soi que, pour le mélomane francophone, l’articulation de l’équipe réunie pour les représentations données à Duisbourg en mars 2010 pâtit d’une moindre familiarité avec notre langue. Par rapport au DVD Opus Arte, la situation est presque exactement inversée : dans la production donnée au Châtelet par les Arts Florissants en 2004, Topi Lehtipuu en Atis était le seul artiste dont le français soit attaquable (on a déjà signalé ailleurs son incapacité à prononcer le son [ʒ]), mais le titulaire d’Atis est ici le seul dont on pourrait croire que le français est la langue maternelle, tant il la prononce bien. Mais comme la perfection n’est pas de ce monde, même ce nouvel Atis prononce le mot « pèlerinage » comme si le premier e portait un accent aigu et non grave. Anders Dahlin n’en est pas moins la perle qui brille de l’éclat le plus vif dans cet enregistrement. On a dit tout le bien que l’on pensait de lui lors de la reprise bordelaise des Indes galantes dirigées par Christophe Rousset, et l’on retrouve ici intactes toutes ses qualités, notamment une virtuosité jamais prise en défaut.
Autour de lui, tout le monde chante bien, s’efforce d’être intelligible et y parvient le plus souvent. Seul manque le naturel que permet une longue fréquentation d’une langue étrangère. Après Dahlin, la palme du meilleur français revient à la fée Manto de Thomas Michael Allen, collaborateur régulier de l’ensemble Opera Lafayette, et donc habitué à chanter en français. Adrian Sâmpetrean est un Anselme bien disant et à la belle voix grave ; Laimonas Pautienius tâche d’être comique en Orcan, mais il lui serait difficile de rivaliser sur ce plan avec Laurent Naouri, irrésistible en bougon saisi par le démon de midi. Chez les dames, Anna Virovlansky se défend peut-être un peu mieux que Iulia Elena Surdu sur le plan strictement linguistique ; on regrette simplement que leurs voix ne soient pas assez nettement distinctes, là où le choix de Stéphanie d’Oustrac pour le rôle d’Argie conférait à l’héroïne un timbre bien différent de celui de sa suivante. Le chœur tire lui aussi son épingle du jeu, cependant que Konrad Junghänel, bien connu pour ses interprétations de musique religieuse, offre une direction subtile mais pas toujours aussi théâtrale qu’on pourrait le souhaiter : peut-être un chef plus habitué à diriger en fosse aurait-il mieux accentué la vigueur et les contrastes de la musique de Rameau.