Le nom de Jehan Titelouze était attaché à son activité d’organiste, laissant les deux premiers recueils français signés de la littérature dédiée à son instrument. Tel ouvrage spécialisé mentionnait, sans plus, l’existence de « trois messes à 4 et 6 voix, dont une éditée chez Ballard en 1626 », réputées disparues. Jusqu’à ce qu’un chercheur, Laurent Guillo, découvre qu’elles étaient quatre, deux à 4 voix, et deux à 6. Avec son ensemble Les Meslanges, Thomas van Essen, rouennais comme Titelouze, nous en livre le premier enregistrement mondial, ce CD sera suivi d’un second, à paraître cette année.
Ultime floraison de la polyphonie renaissante plus qu’anticipation du Grand Siècle, ces messes sont ancrées dans le prestigieux passé de l’école franco-flamande. Contemporain du grand Sweelinck, Titelouze n’en est pas si éloigné : sa riche écriture contrapuntique, son invention l’attestent. Les motifs concis, le souci d’intelligibilité du texte de l’ordo, pour une composition fluide, sans redites ni longs mélismes, vivante, d’une piété humble et juste, s’inscrit bien dans les règles édictées par le Concile de Trente, sans l’apparat illustrant le triomphe de l’Eglise romaine. Bien que complètes, ces messes sont d’une durée relativement brève. Peu avant l’apparition de la basse continue, chacune des quatre ou six parties vocales est doublée par un instrument (cornet, sacqueboutes, serpent), pratique attestée alors, qui colore et éclaire la polyphonie. Les chanteurs – un par partie, à l’exception de la basse – familiers de ce répertoire et du style approprié, s’accordent parfaitement. Mais notre admiration va tout autant aux instrumentistes dont les phrasés, la conduite, la discrète ornementation se marient si bien aux voix qu’ils doublent.
Faute que les versets chantés de Titelouze nous soient parvenus, Thomas van Essen associe ceux de Bournonville au Pange lingua du chanoine de Rouen, comme l’avaient initié Gérard Lesne et ses amis pour un disque demeuré confidentiel. Des huit Magnificat publiés, eux aussi, en 1626, est retenu celui du 2ème ton, alterné aux versets polyphoniques – récemment découverts – de Bournonville, qui s’y accordent superbement. Le renouvellement lié à cette alternance donne à ces pièces une séduction rare. L’harmonie y est souveraine, avec une élévation d’une grande noblesse, austère et animée.
A Champçueil (Essonne), François Ménissier joue une copie contemporaine (de Dominique Thomas, 2010) d’un orgue qu’aurait pu faire construire Titelouze. Si l’accord mésotonique, pleinement justifié, peut déranger des oreilles sulpiciennes, il donne une coloration bienvenue à la registration choisie, décrite dans la notice, particulièrement riche, traduite en anglais.
Musicien curieux, scrupuleux, passionné comme efficace, aussi épanoui que discret, Thomas van Essen illustre depuis plus de vingt ans toutes les facettes du baroque, du français tout particulièrement. Son ensemble Les Meslanges, et ses amis nous permettent ici de découvrir des œuvres propres à restituer toute sa flatteuse réputation au correspondant de Mersenne.
La réverbération propre aux enregistrements de musique sacrée réalisés dans des édifices religieux n’altère ici jamais la clarté de la polyphonie, mais lui donne aussi une ampleur quelque peu démesurée, compte-tenu des effectifs en présence. Mais, ne boudons pas notre plaisir, constant : cet enregistrement est à marquer d’une pierre blanche, illustrant remarquablement cette transition de la Renaissance tardive au premier baroque.