Attendue, cette intégrale de l’œuvre de Bellini l’était pour de nombreuses raisons et d’abord pour l’identité des deux protagonistes principales, Anna Netrebko en Giulietta et Elina Garanča en Romeo, rôles qu’elles incarnent sur scène en ce printemps 2009 au Covent-Garden de Londres, dans une reprise de la vénérable production signée Pier-Luigi Pizzi. Deutsche Grammophon a décidé, pertinemment, la sortie concomitante à ces spectacles de cet enregistrement réalisé quelques mois auparavant, lors de séries de concerts à Vienne. La présentation du CD indique que l’enregistrement a été réalisé live. Rien ne le laisse penser à l’écoute, aucune manifestation du public n’étant perceptible, mais la cohérence de l’ensemble démontre assez le lien avec des concerts en public.
Joseph Calleja incarne Tebaldo, avec fougue et engagement. Son timbre, reconnaissable entre tous ceux des ténors d’aujourd’hui, appelle toujours à nos yeux les mêmes réserves. Son vibratello peut séduire, mais, en particulier dans le duo avec Romeo, l’émission est parfois engorgée et manque de projection. Disons que pour Tebaldo, cela suffit.
Les deux clefs de fa sont deux jeunes chanteurs de chez IMG, le baryton Tiziano Bracci, pensionnaire de la Deutsche Oper de Berlin, et la basse Robert Gleadow. Tous deux complètent bien la distribution et donnent envie de les réentendre.
Venons-en aux deux stars, magnifiquement photographiées sur la couverture et dans le livret, dans leurs costumes que l’on imagine assez proches de ceux de la production Pizzi de Covent-Garden. Le velours est beau, les bijoux rutilants et les épées menaçantes, comme il se doit. Leur duo est, disons-le tout de suite, très convaincant. Vocalement, leurs voix se mêlent de manière séductrice et leur complicité se devine sans peine. Elles nous donnent ainsi de très beaux moments de chant et, quoique pris sur un tempo excessivement lent, le duo final est réussi. Sur scène, l’émotion doit être au rendez-vous et on espère qu’un DVD suivra.
Anna Netrebko est fidèle à elle-même : cette chanteuse ne ressemble à aucune autre et apporte une touche très personnelle à tous les rôles qu’elle aborde ; par-delà son relatif manque d’italianité, son engagement emporte toute réserve, son timbre est beau, et elle nous gratifie d’un sublime contre-ré – qui n’a pas l’air trop trafiqué – à la fin de l’air du II chanté legato, comme il faut (« Morte non temo »). Certes, la voix a mûri et elle nous propose une Giulietta que l’on devine bien plus expérimentée qu’elle n’en a l’air, ce qui donne une couleur qui peut gêner… surtout que son amant est, pour le coup, bien juvénile. Elina Garanca incarne un Roméo plein de fraîcheur, à défaut d’être ardent. Si elle ne se départit pas d’une réserve qui devient – malheureusement – une marque de fabrique, elle est toutefois nettement plus convaincante dans cette intégrale que dans son dernier CD « Bel canto » sorti très récemment chez DG également. Sans doute, la prise live ou au moins le lien de cet enregistrement avec des concerts viennois l’explique en partie et c’est, nous semble-t-il, une indication dont sa maison d’édition devrait tenir compte dans le futur.
Les Wiener Symphoniker donnent à la mélodie bellinienne de magnifiques couleurs, sous la baguette très idiomatique de Fabio Luisi.
Au final, cette intégrale vient prendre une place très honorable dans une discographie bien nourrie. Ses mérites sont certains. Elle est aussi une photographie honnête de ce que le monde lyrique peut offrir en 2009 : des stars ; un beau produit aguichant et recommandable ; des qualités certaines et des limites musicales et vocales réelles. Ce n’est déjà pas si mal.
Jean-Philippe THIELLAY