Au cinéma, on connaît les films d’action ; dorénavant, sur les scènes lyriques, il y aura peut-être les « opéras d’action ». C’est du moins dans cette lignée que Tanguy Viel déclare avoir conçu son livret, en pensant aux lieux communs du cinéma américain, et plus précisément du film policier : enlèvement, poursuite en voiture, hold-up, etc. S’inspirant d’une anecdote authentique (l’enlèvement de Patty Hearst en 1975), le romancier a imaginé pour Les Pigeons d’argile une intrigue où, en réalité, toute cette agitation est filtrée à travers la conscience d’un personnage-clef : Charlie, complice du rapt, dont on comprend peu à peu qu’elle est en quelque sorte la narratrice. Même délibérément enlaidie par des vêtements difformes, par une perruque hirsute et par un maquillage charbonneux, Gaëlle Arquez y brille, déployant tous les sortilèges de sa voix ample et expressive pour mieux retracer les sentiments complexes de ce personnage. Alors que l’aspirant-révolutionnaire Toni ne cesse de brider ses élans en lui répétant qu’il ne faut pas mêler amour et révolution, il s’empresse de s’éprendre de la pauvre petite fille riche qu’ils ont enlevée ensemble. Campée par Vannina Santoni, Patricia Baer, dite Patty, oppose à la violence de la sombre Charlie toute la douceur de sa blondeur solaire et de son timbre lumineux. Entre ces deux figures que tout oppose, Aimery Lefèvre est Toni, dont le nom évoque le héros de West Side Story et dont le blouson rouge rappelle le James Dean de La Fureur de vivre. Malgré un cri déchirant quand Charlie finit par se sacrifier pour lui, le baryton ne peut faire qu’un antihéros de ce rebelle qui édicte les règles de sa propre révolution pour mieux les enfreindre à la première occasion. Autour des trois jeunes gens, trois membres d’une génération antérieure : la chef de la police, figure assez stéréotypée à laquelle Sylvie Brunet-Grupposo prête toutes ses qualités de chanteuse et d’actrice, et surtout les deux pères. Gilles Ragon hérite ici d’un personnage bien plus étoffé psychologiquement et très exigeant sur le plan vocal : géniteur de Toni, l’immigré Pietro semble avoir renoncé à son engagement à gauche pour entrer au service de Bernard Baer, milliardaire qui aspire à entrer en politique, individu qui aurait tout pour être antipathique mais auquel Vincent Le Texier confère une profonde humanité.
La musique de Philippe Hurel est elle aussi « musique d’action », bien entendu : toujours en mouvement, parfois à la limite de la frénésie dans la nervosité des interventions orchestrales, mais sans que les chanteurs aient à en souffrir, Tito Ceccherini y veille, à la tête de l’Orchestre du Capitole. Et elle offre aussi quelques belles plages d’introspection, notamment dès la première scène de l’acte I, et tous les moments où Charlie songe aux événements et les revit sous nos yeux. Quelques épanchements de plus n’auraient peut-être pas été de trop, et il est bien dommage que les compositeurs d’aujourd’hui soient si souvent réfractaires à associer les voix pour les faire chanter ensemble. Malgré tout, Les Pigeons d’argile possède une force incontestable, que reflète bien la mise en scène dynamique de Mariame Clément, avec le décor tournant, aux multiples espaces de jeu, conçu par Julia Hansen. Cette simultanéité de l’action est encore accentuée par la captation, qui recourt à la technique du split screen pour nous permettre de voir différents lieux en même temps. Autre intérêt de ce DVD : un documentaire qui donne la parole en six chapitres, qui donne la parole au compositeur, au librettiste, à la metteuse en scène, à la conceptrice des décors et costumes et aux interprètes de Charlie et Toni.