Difficile d’imaginer un moment plus passionnant dans l’histoire de la musique que le début du XVIIe siècle, particulièrement en Italie : c’est là et alors que naissent l’opéra, la sonate, le concerto ou la monodie accompagnée. Une explosion de créativité qui va vite se répandre dans toute l’Europe. En France, la cour de Louis XIII poursuit ce que les Valois ont instauré : les fastes des divertissements et des fêtes servent à souligner la grandeur du souverain et de sa maison. L’étalage de la culture prend une dimension politique. On assiste toutefois à des influences réciproques entre une pratique amateur qui se répand dans les nobles salons et la pratique de l’élite professionnelle qui exerçait son art dans les chambres royales. L’air de cour, largement diffusé par l’éditeur Pierre Ballard, connaît une vogue remarquable, sous forme de chant soliste accompagné le plus souvent d’un luth. Ces mêmes airs résonnent à la cour dans une forme polyphonique, héritée de la Renaissance, avec accompagnement de violes, luths et clavecins. Les principaux compositeurs qui marquent l’air de cour ont pour nom Antoine Boësset, Pierre Guédron ou Etienne Moulinié. Ces magnifiques musiciens nous ont laissé de fort belles pages vocales et instrumentales, mais ils ont sans doute été éclipsés par l’éblouissante cour du Roi-Soleil, un siècle plus tard. Sébastien Daucé et l’Ensemble Correspondances s’attachent à redonner vie à l’air de cour dans sa forme la plus riche et la plus royale. Comme à son habitude, il nous livre le fruit de ses recherches en les replaçant dans leur contexte le plus large possible, ainsi que l’indique clairement le titre de son nouvel album Les Plaisirs du Louvre. L’essentiel des 28 plages de ce CD est constitué d’airs à 4 ou 5 parties, d’extraits chantés de ballets de cour et autres « récits ». La structure peut varier, et les airs à 5 voix deviennent parfois des dialogues entre une voix soliste à laquelle répond un chœur. Le tout est entrecoupé de quelques pièces instrumentales, signées par des compositeurs plus connus, tels que Louis Couperin ou Jacques Champion de Chambonnières.
Sébastien Daucé a réuni autour de lui la crème des voix rompues à ce genre d’exercice : des timbres bien trempés, identifiables dans l’ensemble mais qui s’harmonisent à la perfection pour produire des assemblages d’une suave volupté. La prise de son excelle à rendre limpide chaque ligne de la polyphonie tout en les fusionnant au sein d’un superbe ensemble vocal. Citons à titre d’exemple le soprano lumineux de Caroline Weynants, l’incomparable contralto de Lucile Richardot, les ténors de David Tricou et Marc Mauillon ou la basse d’airain de Nicolas Brooymans. Les textes chantés sont parfaitement intelligibles, la prononciation « moderne » a été privilégiée. Reste qu’il s’agit ici d’une littérature galante fort prisée alors, mais d’un intérêt limité, où « fureur » rime avec « malheur », et « tourment » avec « amant ». Et si l’air de cour des salons parisiens se plaît aussi dans les airs à boire ou dans des textes un peu coquins, nous sommes ici à la cour et la musique du roi n’est pas là pour badiner. Les forces instrumentales – violes, luth, clavecin et orgue – apportent avec talent leur soutien aux chanteurs et contribuent largement à la réussite de ce disque. Pour autant, une écoute intégrale entraîne une certaine lassitude, dont il est malaisé de cerner les raisons. La grande majorité des pièces exhale cette langueur si intimement liée au baroque français. Les rythmes pointés sont omniprésents, le plus souvent sur une métrique ternaire, typique des chaconnes et sarabandes, et cela contribue peut-être à donner le sentiment que ces airs semblent sortis d’un même moule. Voilà un très bel album, qui nous permet de découvrir un répertoire peu connu dans une interprétation hors pair, mais qu’il faut sans doute consommer avec modération. Le livret bilingue apporte beaucoup d’informations sur les compositeurs et le contexte de ce répertoire.