Déjà auteur de plusieurs épais volumes savants consacrés à Wagner, Jean-Jacques Nattiez a été bien avisé d’écouter la suggestion d’un collègue, et de ramener à un nombre de pages extrêmement raisonnable la quintessence de tout ce savoir, pour « réunir en un petit livre l’essentiel de [s]es conclusions ». L’ouvrage qui en résulte se présente comme une sorte de guide des grandes préoccupations wagnériennes, qu’on peut supposer destiné aux néophytes puisque les différents chapitres s’ouvrent sur un résumé de l’intrigue de chacun des dix opéras couramment inscrits au répetoire. L’auteur a d’ailleurs fait le choix de « ne pas traite[r] ici des opéras qui ne sont plus guère joués aujourd’hui » alors même que, bicentenaire oblige, on a vu se multiplier les reprises des trois opus lyriques du jeune, Les Fées, La Défense d’aimer et Rienzi – reprises probablement sans lendemain pour les deux premiers, mais pas pour le troisième, du moins on l’espère.
Le sous-titre est aussi éclairant qu’alléchant : « Art poétique, rêve et sexualité » résume bien les axes de la réflexion de Jean-Jacques Nattiez, qu’on trouve réitérées en fin de parcours. L’autoréférentialité renvoie au fait que Wagner, appartenant en cela à modernité, aime à s’interroger dans ses œuvres sur l’art même qu’il pratique. Selon lui, l’art poétique wagnérien, tel qu’exposé dans ses livrets, dans ses partitions ou dans ses écrits théoriques, privilégie le rêve comme source d’inspiration, ainsi que l’affirment de nombreux personnages des dix opéras examinés, ledit rêve débouchant en général sur un « chant » en bonne et due forme. Cet art poétique se caractérise aussi par plusieurs hésitations liées : « entre l’optimisme révolutionnaire mâtiné de Feuerbachet le pessimisme résigné à la Schopenhauer », « entre l’amour spirituel et l’amour charnel », « entre un style d’écriture musicale diatonique et un style chromatique », « entre la domination du poème et celle de la musique ». Rien de schématique dans la démarche, régulièrement affinée par des nuances et des mises au point bienvenues. Une longue fréquentation du compositeur permet à Jean-Jacques Nattiez de prétendre connaître la « vérité intime » ou « vérité profonde » de Wagner, même si celui-ci se montrait souvent « d’une parfaite mauvaise foi, la vérité de son œuvre étant toujours la dernière qu’il lui attribue ».
Considérant que Wagner aspirait à l’union du principe masculin (le poème) et du principe féminin (la musique), Jean-Jacques Nattiez voit dans son œuvre une aspiration à l’androgynie, sans oublier que « chez lui, plus une relation amoureuse est exogène, plus elle échoue ». Cette androgynie s’exprime principalement dans la Tétralogie (« androgynie à dominante masculine », sous l’impulsion de Siegmund), dans Tristan et Isolde (« à dominante féminine », sous la forme du désir de fusion que permet la mort), et dans Parsifal, androgynie alors asexuée (rédemption sans intervention de la femme, négation du désir).
Bien sûr, pour mieux tirer profit de toutes les informations et toutes les idées contenues dans ce volume, le lecteur aura malgré tout intérêt à déjà bien connaître l’œuvre de Wagner.