Il y a des fois où la législation nous ennuie – on ne dira pas quand ; et il y en a d’autres où elle nous réjouit. Ainsi celle qui fait mathématiquement tomber les enregistrements de plus de 50 ans dans le domaine public.
Alors, goût de bouchon pour ce Fischer-Dieskau de plus de 50 ans d’âge – lequel, par ailleurs, est mis à disposition des bourses les plus modestes ? Indubitablement non !
Un fin bouquet au contraire ; des parfums encore bien légers et aussi un retour en bouche – et « en âme » – longs et délicats. Enfin, pour ceux qui aiment, évidemment les crus charpentés et à plusieurs degrés – dans tous les sens du terme.
Il y en a qui ne sont pas sensibles à l’art de DFD, à sa « grille de lecture », à sa voix aussi – et à son étonnant vibrato à deux vitesses. Ceux-là passeront leur chemin, comme d’habitude. Mais pour les autres – les amateurs et les néophytes – j’ai envie de retenir la main pour les inviter au voyage.
« Fi-Di » est ici capté dans ses toutes jeunes années – 26 ans pour les fahrendes ; ça mérite d’être remarqué quand même. Avec ce que cela implique comme densité de la voix – un hautbois au chant long, aux couleurs profondes, moirées et apte à mille colorations ; avec ce que cela implique comme gourmandise, aussi, à l’aube des années de « boulimie » discographique qui ont rendu l’artiste célèbre.
Mais attention : jeune ne veut pas dire ici puéril. Oh non ! D’ailleurs je ne suis pas vraiment sûr que DFD l’ait été un jour ; un peu comme s’il était né sérieux et pénétré de ce que l’art en général – et le sien en particulier – avait comme message à porter à l’humanité de l’immédiat après-guerre : ceux qui ont entendu son Posa et son Winterreise de 1948 ne me contrediront pas.
Bien sûr, Fischer-Dieskau a fouillé, refouillé – trifouillé – plus tard ces cycles et ce premier jet n’en est justement « qu’un ». Mais tellement séduisant ; et tellement poétique aussi. Avec ces aigus impalpables – plage 2 et 14 – un peu spectateurs d’eux-mêmes mais si enivrants aussi. Avec cette ligne suspendue dans Mahler et paradoxalement si simple – en apparence au moins – chez Schumann. Avec aussi ce lyrisme ascétique et déjà en proie au déchirement dans les Kindertotenlieder. Avec, enfin, ces moments d’éternité suspendue à un mot, à un son – plage 4, et ses graves à peine effleurés.
Et comme il n’y a pas encore, ici – et chez Mahler surtout, ce que certains pourront regretter – l’âpreté, la violence froide, la douleur pénétrante que Fischer-Dieskau a pu mettre ensuite dans les Kindertotenlieder par exemple – voir sa fabuleuse version mortifère avec Maazel en dvd DG – ce disque est peut-être celui qui permettra l’approche la plus évidente, la plus simple de l’univers du maître – et de ses maîtres.
A ce prix-là, honnêtement…
Benoît BERGER