Avec ce récital, Juliane Banse montre qu’elle n’a guère d’imagination en matière de composition du programme, mais elle a surtout eu les yeux plus gros que le ventre, pardon, que le gosier. Avant tout interprète de lieder, elle fait certes carrière à l’opéra, mais ce n’est sans doute pas là son domaine d’élection. Le public parisien avait pu goûter son émission particulière, ses bizarreries et ses limites, lors des représentations de Fierrabras données au Châtelet en 2006 par l’orchestre et la troupe de l’Opernhaus de Zürich. A la scène, la chanteuse est émouvante (voir sa Genoveva de Schumann en DVD), mais à l’écoute seule on s’aperçoit que le son bave un peu, le trille est impossible, l’aigu semble douloureux et pas toujours très juste.
Le « Come scoglio » est pris avec une certaine lenteur, ce qui permet du moins une mise en place assez propre, mais retire à l’air une partie de son impact. Dans les notes les plus hautes, on a l’impression que le son doit passer à travers une membrane pour sortir, comme à vif. En scène, on tolère parfois des aigus émis à l’arrachée s’ils sont intégrés à une certaine approche du personnage, et accompagnés d’un engagement dramatique exceptionnel ; en revanche, comment les accepter au disque ? Avec l’air d’Agathe, la liedersängerin a son rôle à jouer dans les récitatifs, mais la fin de la deuxième partie est bien désordonnée, avec un honteux savonnage des dernières notes.
Ce qu’on entend peu après n’est pas l’air « Och, jaky zal ! … Ten lásky sen » que chante Mařenka à l’acte III de Prodaná nevěsta, mais celui de son homologue germanique Marie, dans Die Verkaufte Braut. Après avoir interprété Tatiana en russe sans donner vraiment l’impression de comprendre ce qu’elle chantait, enfilant les notes sans leur donner de sens particulier, Juliane Banse ne s’aventure pas dans le tchèque et préfère sagement recourir à la version Max Brod du chef-d’œuvre de Smetana. Ce que les divas se permettaient dans les années 1950 est pourtant plus inattendu aujourd’hui, sauf entreprise avouée d’enregistrement en langue vernaculaire (voir Opera in English chez Chandos).
Smetana en allemand, Fiordiligi, Agathe, Tatiana : Juliane Banse voudrait-elle nous faire croire qu’elle est l’héritière directe de Ljuba Welitsch, de Sena Jurinac ou d’Elisabeth Grümmer ? Il lui manque pourtant tout à la fois le surinvestissement théâtral de la première (dont elle ferait bien de réécouter l’air de la Lettre d’Onéguine), l’émotion immédiate de la deuxième (déchirante dans La Fiancée vendue), la pureté de ligne de la dernière (dont le Leise, leise reste suffocant de pureté vocale). C’est alors qu’arrivent les trois airs extraits d’opéras français, qui retiennent davantage l’attention, même si Manon est un peu trop grande dame. Micaela est plus touchante et Marguerite est très habilement négociée, mais on retrouve ici le même problème de l’extrême aigu. Pourquoi vouloir forcer sa nature, pourquoi vouloir prouver qu’on est autre chose que ce que l’on est ?