Le dernier coffret proposé par EMI semble tout droit sorti de l’imagination du concepteur des pubs d’Air France : Roberto, les bras grands ouverts, tout de blanc vêtu, se détache sur un fond bleu très pâle, presque new age. Curieux, pour un retour sur quinze ans de production discographique pour la firme EMI.
Le concept est clair : offrir un regard sur les dix rôles que notre ténor national conçoit comme ses « plus grands rôles », dont sept aux côtés d’Angela Gheorghiu. On y retrouvera Roméo, Werther, Des Grieux, Don José, Carlos pour les Français ; Edgar, Manrico, Rodolfo, Mario, Ruggero du côté des Italiens, Rinuccio et Roberto (Le Villi) venant compléter la troupe. Le choix aura été guidé et contraint, pour tout dire, par la règle du jeu : recycler des extraits des intégrales qu’il a gravées pour EMI, de 1996 (La Bohème, la première en tout cas – la seconde a été enregistrée pour Decca) à 2003 (Carmen), avant ou après des prises de rôle sur scène. Inutile en tout cas de chercher Hoffmann et Nemorino (Erato), le duc de Mantoue (Sony), Canio, Fritz (DG), ou a fortiori Faust, Radamès, Paolo Il Bello et autres prises de rôle plus récentes.
Malgré la recette éculée, l’intérêt de ce panorama est réel, et ce même si l’on possède déjà chacune des intégrales. C’est aussi un joli cadeau de Noël pour les fêtes qui approchent, déjà. Le texte d’accompagnement de chaque rôle qui justifie le choix de Roberto est plutôt intéressant malgré sa brièveté et le choix des morceaux permet de dépasser les seuls « tubes » pour entendre de vrais duos (Don Carlos, Manon…) et quelques ensembles (Bohème, final de Don Carlos…).
Surtout, il donne l’occasion de s’interroger sur cet artiste, à nul autre comparable dans le paysage actuel. D’une générosité et d’une spontanéité qui forcent l’affection, Roberto Alagna aura marqué certains des rôles illustrés par ce coffret. Dans Roméo (un personnage qu’il a « dans la peau » selon ses termes), Carlos (« un des moments les plus palpitants de ma carrière ») ou Rodolfo, la voix est d’une fraîcheur, d’une insolence et d’un charme qui lui ont donné une place définitive. Pour Werther (« un rôle que j’adore mais auquel je ne dois pas revenir souvent »), Don José (il faut savoir « gérer » ce rôle, dont certaines phrases, certains élans peuvent « briser la voix »), Manrico ou même Ruggero, le lyrisme et l’héroïsme de la voix prennent le dessus.
Inutile aussi de dresser des comparaisons entre hier et aujourd’hui. Lorsqu’il grave les premières intégrales dont le coffret se fait l’écho, il avait moins de 35 ans. En 2013, il fêtera son demi-siècle et la voix a évidemment changé, comme tous les spectateurs du Faust parisien ont pu le noter. Ca n’est pas la faute d’EMI, sans doute, les Luis Mariano, Sicilien et maintenant Pasión (pour le concurrent au logo jaune) ayant évidemment laissé des traces. Pour autant, malgré les années, Roberto continue à chanter Bohème (à Londres, en juin prochain) et la carrière avance.
Alors, même si se retourner sur ce legs discographique important ne fait pas de mal, on a surtout envie de croire au futur. De croire à un Calaf, à un Otello initialement prévu pour 2011 et repoussé sine die. De croire aussi à des spectacles où Roberto serait dirigé par des metteurs en scène suffisamment habiles pour se faire accepter de lui et utiliser au mieux le formidable charisme du ténor. Oui, on a envie d’y croire encore !