Première soprano kirghize à connaître une carrière internationale, Katharina Konradi est installée en Allemagne, où, après une solide formation, elle a débuté à l’opéra de Wiesbaden pour passer à Hambourg, puis à Münich. On aurait dû l’écouter à Lyon en mai dernier dans Le Nozze di Figaro. Le coronavirus en a décidé autrement. Après un CD déjà consacré au Lied (Schubert, Strauss, Debussy, Křenek, Trojahn et autres) en 2018, et diverses participations à de grandes productions lyriques internationales (elle sera Sophie dans la nouvelle production de Rosenkavalier, à Munich le 21 mars, Vladimir Jurowski/ Barrie Kosky), elle nous offre aujourd’hui une nouvelle pépite. Il est vrai qu’elle affirme : « Pour moi, le Lied est la discipline suprême du chant, à laquelle je me suis consacrée avec passion. » L’écoute renouvelée de ce CD confirme son choix, « amoureux » comme l’indique le titre. Choix personnel, qui unit Mozart à Schubert et Strauss, elle associe des Lieder bien connus à des raretés, sinon des découvertes.
La voix est fraîche, longue et le timbre s’apparente à celui de Barbara Bonney et d’Edita Gruberova jeune. C’est dire déjà le bonheur éprouvé à l’écoute. Les Strauss s’ouvrent sur Die erwachte Rose, transposée un ton au-dessus de ce que chantent les sopranos, ce qui facilite l’enchaînement (du moins pour l’auditeur) avec le Lied suivant. Le climat est rendu avec justesse, le Schlagende Herzen est enjoué à souhait, la voix caressante et épanouie dans Ich schwebe. Leises Lied a l’étrangeté requise (avec la gamme par tons) pour restituer l’atmosphère singulière. La scansion du piano est exemplaire. Peut-on se montrer plus espiègle dans Hat gesagt ? Rien n’est moins sûr. Quant à Glückes genug, c’est la plénitude rayonnante, sur son élégant balancement. On se situe, déjà, au plus haut niveau, rivalisant avec les grands noms qui ont illustré ce même répertoire.
Même si la dette de Strauss à Mozart est connue, la rupture stylistique est nette avec Abendempfindung, rêveur à souhait. Seul – petit – regret, l’usage du même grand piano moderne, très sonore : on imagine sans peine ce qu’aurait été une prise avec un instrument d’époque et un jeu approprié. Chacun des Lieder trouvera sa couleur, son style, depuis la naïveté de Die Zufriedenheit, jusqu’à la douleur du Lied der Trennung, en passant par le tour populaire du Lied der Freiheit et la candeur et l’émotion de Das Veilchen. Warnung est un authentique bijou et son chant, inspiré, appelle tous les suffrages.
Schubert, dernier volet du triptyque, est introduit avec subtilité par Luisens Antwort, réponse au lied précédent : Trennung. Tout est là, servi avec sincérité. Suleika I (Vent d’est) frémissant, impatient, souffre de l’usage d’un piano surdimensionné (« beau comme un camion », me confie une amie mélomane). Les Lieder suivants (An die Nachtigall, Die junge Nonne) sont remarquables d’expression, n’était ce piano attentif, agile, subtil, mais envahissant. Verklärung, que l’on connaît surtout confié aux hommes, trouve ici sa force dramatique et son émotion, au travers du récit comme du chant. Relative rareté : le Lied des Florio est un des deux numéros du Schauspiel « Lacrimas », que l’on découvre avec bonheur. Suleika II est une réussite majeure, avec son piano frémissant et les plaintes ardentes de l’amante qui s’apaise. La sensibilité de Alles um Liebe nous émeut. La palette expressive la plus large est illustrée avec talent : du grand art. Jamais le pianiste, Daniel Heide, ne démérite : le partenaire est réactif, le jeu sait épouser les articulations, les touchers, les phrasés pour s’accorder au chant et à l’esprit de chaque pièce.
Voilà un enregistrement de prix, où l’on découvre une jeune soprano dans son répertoire d’élection. Pour avoir écouté nombre d’autres « grandes » cantatrices dans ces mêmes œuvres, il faut saluer la performance, qui se situe parmi les plus réussies depuis Elisabeth Schwarzkopf, Erika Köth ou Lucia Popp.
Le livret, bilingue (anglais – allemand), comporte les textes chantés, en plus d’une interview de la soprano, et les biographies des interprètes.