Mélange fascinant de force et de fragilité, de tendresse et de vigueur, de blancheur immaculée et de funeste noirceur, la voix de Sandrine Piau est un superbe instrument que la chanteuse sait utiliser avec intelligence et expressivité. Ainsi, ce nouvel enregistrement s’ouvre sur trois Lieder de Richard Strauss divinement réussis. A Die Nacht, envoûtant, succèdent Das Geheimnis [Le Secret], formidablement déclamé, et Morgen !, insurpassable moment de magie poétique auquel Manoff participe largement. Dans Fauré, dont le fameux Après un rêve donne son titre à l’album, Piau se laisse aller aux délices vocaux des partitions choisies. Si cela se fait au détriment de certains mots (dans l’aigu surtout), on ne peut que succomber à la musicalité naturelle d’une artiste rayonnante et se laisser aller à un abandon total.
Chez Mendelssohn, mélancolie et impétuosité alternent impeccablement. Et Piau de nous emmener dans un merveilleux univers de conte dans le bien nommé Hexenlied [Chant des sorcières] après avoir réussi avec panache le tour de force imposé par l’écriture presque instrumentale de Neue Liebe [Nouvel amour]. On découvre ensuite cinq mélodies du Français Vincent Bouchot qui, dans la langue de Goethe, construit un monde au riche imaginaire de folklore et de boîtes à musique déréglées. Un recueil loin de toute ambition artistique importante mais qui, comme l’indique son auteur, n’a de toute façon pas valeur de manifeste esthétique. La chanteuse se glisse parfaitement dans la peau du clown triste – voire du « Pierrot morose » (Mondendinge) – censé nous bercer ici. Paradoxalement, si elle tire son épingle du jeu en allemand, c’est dans sa langue maternelle que la soprano articule le moins bien. Ainsi, après Fauré et malgré une facture musicale parfaite, les mélodies de Chausson et Poulenc en pâtissent un peu çà et là. Piau n’éprouve cependant aucun mal à cerner la musicalité de l’anglais dans des pages de Britten que, très inspirée, elle interprète avec une mélancolie exempte d’amertume.
Malgré le (petit) problème d’intelligibilité de quelques mots français, il n’en demeure pas moins que grâce à sa pureté de timbre et à son naturel musical incomparable, l’irrésistible soprano parvient à nous emmener ailleurs, le temps d’un récital joliment construit et finement interprété. En parfaite osmose, Susan Manoff l’accompagne très bien, avec attention et délicatesse. Tout ici coule de source. Nous recommanderons donc chaudement ce disque aux inconditionnels de Sandrine Piau, aux amateurs de belle voix et même aux spécialistes de la mélodie française qui auront actuellement beaucoup de mal à trouver plus fine musicienne dans ce registre. Un bien joli rêve en somme…