Certains metteurs en scène ont un grave problème avec l’humour rossinien Au lieu de nous en faire partager la saveur croustillante, ils s’avisent de montrer qu’ils ont eux aussi de l’humour. Ce qui est totalement différent. Et donc, Davide Livermore dans cette captation d’août 2013 a décidé de nous en remontrer.
A lui la projection dans un univers Sixties à la OSS 117, à lui les jeux de scène hyper drôles, et notamment ces trémoussements itératifs supposés démontrer que la musique de Rossini avant tout est faite pour te faire bouger ton corps : que de demi-ballets improvisés dans ces gesticulations des chanteurs (qui n’économisent pas, en particulier, le mouvement avant-arrière de leur bassin pour signaler que non seulement ça fait bouger ton corps, mais ça chatouille aussi par là) – le malheur voulant que, ne traitant pas cela comme de véritables mouvements, mais comme une sorte de pulsion physique, le metteur en scène ne donne à voir qu’une chorégraphie sommaire, et pour tout dire assez hideuse. Les idées, de plus, sont assez vite taries une fois posé cet Orient pétrolifère dont on ne sait si la vulgarité clinquante est moquée ou exploitée comme un gimmick somme toute assez rentable (nénettes en cuissardes, Isabella en simili Paco Rabanne moulant, femmes de ménages en mini-jupe…).
Il faut bien avouer qu’on sourit au début de certaines bonnes idées, sans prévoir qu’à ce point elles se répèteront, comme si la représentation était conçue en elle-même pour user jusqu’à la corde les principes scéniques qui censément la soutiennent. Passons sur cet auto-sciage de branche assez spectaculaire, qui fait presque l’intérêt de ce DVD. Il faut bien se rabattre alors sur l’orchestre du Teatro Comunale de Bologne : José Ramon Encinar ne le mène pas vraiment à la victoire, hélas. Beaucoup de sécheresse ne fait pas une alacrité et l’alacrité ne fait pas la ligne. Il ne nous reste plus qu’à admirer l’abattage ahurissant d’un Alex Esposito assez isolé. Lui au moins a compris qu’il fallait sortir par le haut, et joue sa carte à fond, sans retenue, sans complexes, mais dans le respect total de la vocalité rossinienne. Son « Già d’insolito » ne fait aucune concession aux habituels déports vocaux qu’on y entend de la part de vocalistes moins aguerris. Et on finit par y croire ! Anna Goryachova ne dispose par des mêmes ressources burlesques, ni par son personnage ni par tempérament, mais fait front et impose une belle agilité, un timbre sombre et moëlleux, manquant toutefois un peu de couleurs et d’aspérités pour rendre toute la pétulance du personnage. Il ne suffit pas de porter des combinaisons en latex pour faire exister une Isabella, son port altier, sa morgue italienne, son charme de grande dame rouée. Evidemment, on n’en dira pas autant de Lindoro, typique des silhouettes falotes dont Rossini a le secret, préférant leur offrir des prouesses vocales plutôt qu’un caractère. A cet égard, Yijie Shi s’en sort fort bien, un peu court de timbre et parfois de souffle, mais techniquement fort propre, avec d’agréables suavités (dans « Languir per una bella », notamment). Mario Cassi est un Taddeo sympathique, comme ils le sont tous.
Finalement on se demande à qui ce genre de DVD est réservé. Les afficionados de Rossini n’ont pas entièrement goûté ce spectacle en 2013. Les autres, simples amateurs, n’apprendront rien sur Rossini ni sur L’Italienne à Alger. Enfin, tous les autres se diront que ce Rossini devait être le Patrick Sébastien de son époque.