Cela fait des lustres que les Cassandre ne cessent de prédire sa disparition, or, malgré d’indéniables difficultés que nous aurions tort de minimiser, en dépit des rachats et fusions qui assombrissent l’avenir des artistes et de la création, le disque affiche encore une belle vitalité. La musique dite ancienne demeure en particulier un créneau porteur, du moins pour les éditeurs qui, à l’instar d’Harmonia Mundi, cultivent une exigence d’excellence et continuent à frayer hors des sentiers battus tout en soutenant les talents naissants.
A côté d’une nouvelle lecture de la Saint Matthieu, radiographiée et surinvestie par René Jacobs, le label pose un acte de résistance, pointu et exemplaire, en accueillant sous sa bannière une formation spécialisée dans le répertoire sacré du Grand Siècle. Fondé en 2008 et repéré par Zig Zag Territoire après la parution à compte d’auteur d’un premier disque consacré aux petits motets de Charpentier, l’Ensemble Correspondance retrouve le brillant élève de Carissimi et nous ouvre les portes de l’hôtel de Guise où le compositeur séjourna près de vingt ans et tint la partie de haute-contre dans ses propres oeuvres. En l’occurrence, Sébastien Daucé et ses musiciens illuminent et détaillent avec un naturel confondant le contrepoint singulier que développent ses motets à six voix mixtes (ses contemporains privilégiaient alors une écriture à quatre ou cinq parties) : le Miserere H. 193, généralement donné dans sa révision pour les Jésuites et livré ici dans sa mouture originale – bien que le chef s’inspire de reprises ultérieures pour inclure une seconde paire de dessus instrumentaux – ainsi que deux joyaux de dévotion mariale, l’Annunciate superi H. 333, irrésistible chant d’allégresse, et les fameuses Litanies de la Vierge H. 83.
A la remarquable sobriété qui prévaut dans le psaume de pénitence (tempi retenus, dissonances à peine effleurées) répondent la justesse de ton et l’exceptionnelle concentration de l’expression dans les Litanies. De l’ineffable douceur du «Regina angelorum » à la plénitude douloureuse de l’« Agnus Dei », les chantres de Correspondance épousent les fluctuations du sentiment avec une finesse d’inflexion et une immédiateté inouïes en ces pages qui nous révèlent comme jamais l’âme du croyant dans sa bouleversante nudité. Et dans cette épure, dans cette faculté de s’oublier pour mieux se fondre et communier dans la musique se reconnaissent les plus grands interprètes.
En complément d’un programme sans doute un peu court (à peine une heure) mais d’une telle qualité d’inspiration, l’Antienne H. 526 et l’Ouverture pour le sacre d’un évêque H. 536, finement ciselées et articulées, flattent la sensualité de l’effectif instrumental dirigé depuis le clavier par Sébastien Daucé. Plus qu’une carte de visite, cet album constitue un jalon essentiel dans la discographie de Charpentier.
Marc-Antoine Charpentier : Litanies de la Vierge – Motets pour la maison de Guise | Sébastien Daucé