On attendait avec impatience la parution du second volume de l’ouvrage D’une scène à l’autre, l’opéra italien en Europe, dont nous avons récemment rendu compte du premier volume publié sous le sous-titre Les Pérégrinations d’un genre.(1) Tout différent est ce tome II, qui constitue les actes d’un autre colloque universitaire : (H)ernani, quatre siècles d’opéras italiens inspirés par la littérature française (université François Rabelais, Tours, 14-18 février 2007). Il est en effet beaucoup plus clair dans son contenu car d’un propos plus simple : de tout temps, compositeurs, librettistes et théoriciens italiens se sont tournés vers la France en quête de modèles et de sujets d’inspiration ; mais, pour adapter une source française, il était nécessaire d’en extraire la matière pour la retranscrire selon les codes de représentation propres à l’opéra italien.
On comprend qu’un tel thème, décliné sur quatre siècles, ait pu donner matière à vingt-neuf communications passionnantes. D’autant que l’on s’étonnera, avec Damien Colas, de la pauvreté de la bibliographie dans ce domaine : l’opéra italien est très étudié, le théâtre français aussi, et pourtant, peu de chercheurs se sont penchés jusqu’à présent sur les relations pourtant foisonnantes entre les deux. L’étendue chronologique choisie pour cette publication – du Grand siècle à l’aube du XXe siècle – peut surprendre, mais l’ensemble se révèle à terme cohérent tant est grande la continuité du phénomène. A la fin de l’ouvrage, un tableau montre, sur plusieurs pages, les sources françaises des opéras de Haendel, Vivaldi, Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi et Puccini, mais bien des œuvres d’autres compositeurs plus mineurs sont également citées et étudiées au fil du texte, et faciles à retrouver grâce à l’index des noms. L’excellente introduction de Damien Colas permet d’appréhender facilement toutes les facettes de la problématique telle qu’elle est ici envisagée, c’est-à-dire de la manière la plus variée et complète possible.
Les exemples abondent, du cas atypique de Molière à ceux mieux connus de Racine, Corneille, l’abbé Prévost, Voltaire, Rousseau, Beaumarchais, Scribe, Hugo, Zola, Rostand et Villiers de l’Isle-Adam (et bien d’autres), ou à ceux d’illustres inconnus comme Anicet-Bourgeois et Mallian, auteurs du mélodrame La nonne sanglante auquel on attribue l’échec de l’opéra Maria de Rudenz de Donizetti. La structure des œuvres originales et de leurs adaptations est décortiquée avec minutie, leurs variantes analysées avec doigté, et l’on est surpris pas beaucoup d’évidences mises ici en lumière : ainsi, par exemple, le fait que Voltaire ne survive sur scène que grâce à l’opéra italien. La censure italienne et son rôle fondamental dans les adaptations fait également l’objet d’une étude intéressante.
Bref, il convient de saluer la parution de ce remarquable recueil d’articles, facile d’accès et de lecture (pour les multilingues bien sûr, les articles en français, italien et anglais étant publiés dans leur langue originale), et qui ne manquera pas de susciter de nouveaux prolongements. Il est impossible de comprendre le répertoire lyrique italien dans ses arcanes si l’on n’a pas lu cet ouvrage, qu’il conviendra de mettre à une place de choix sur les rayons de votre bibliothèque.
Jean-Marcel Humbert
(1) Voir la critique du vol. I