Le « concert du Nouvel An » est une institution qu’on a coutume d’associer à la diffusion télévisée du 1er janvier, en direct de Vienne, mais la plupart des grandes villes proposent désormais elles aussi un concert qui coïncide avec la fin ou le début de l’année, et comme de nos jours tout enregistrement semble mériter d’être commercialisé, on voit se multiplier les New Year’s Concerts en CD ou en DVD. Nous rendrons compte demain d’un autre de ces produits, mais restons-en pour le moment à celui qui nous occupe aujourd’hui. Comme pour le concert du Musikverein, on a droit à quelques ballets tartignolles dansés dans des cadres somptueux, mais l’on pourrait dire que c’est à un anti-concert viennois qu’on a ici affaire, puisqu’il se déroule là où, dans Senso de Visconti, les Italiens décident de bouter les Autrichiens hors de la péninsule : à La Fenice. Pas de valses viennoises, donc, mais de la musique italienne. Enfin, avec quand même une grosse exception, dont on se demande un peu ce qu’elle vient faire là : la deuxième symphonie de Tchaïkovski. Et un programme qui, hors cette intrusion russe, aurait été exclusivement verdien sans le galop tiré du Siège de Corinthe : n’aurait-il pas été plus logique de trouver une pièce comparable dans l’œuvre de Verdi ? Et fallait-il vraiment nous infliger l’interminable ouverture composée pour Aïda en lieu et place de son prologue habituel ? Non que l’orchestre de La Fenice n’y joue pas fort correctement, sous la baguette d’un Sir John Eliot Gardiner dont on connaissait déjà le goût pour Falstaff mais pas pour le reste de l’œuvre de Verdi.
Toujours est-il qu’il faut attendre plus de la moitié du DVD pour entendre le son d’une voix, toute la première partie étant réservée au seul orchestre. Les solistes chantent chacun deux airs, avant d’être réunis par un bis : c’est peu, même si l’on compte les trois interventions du chœur, dont l’inévitable « Va, pensiero ». Dès son entrée Desirée Rancatore met le public dans sa poche avec un boléro d’Hélène assez enthousiasmant, qu’elle couronne d’un éclatant suraigu extrapolé : le trille est parfaitement maîtrisé, la colorature est impeccable, ce à quoi l’on pouvait s’attendre de la part d’une des grandes titulaires du rôle d’Olympia, mais depuis quelques années la voix s’est corsée, donnant ainsi à l’héroïne des Vêpres siciliennes l’étoffe nécessaire. Dommage de ne pas avoir profité de la présence du chœur de La Fenice pour fait précéder cet air de la grande scène chorale qui ouvre le cinquième acte de l’œuvre, et surtout de ne pas avoir inclus la réponse des choristes à la fin de chaque couplet, ce qui paraît franchement inexplicable. Autre source d’étonnement : de la fin du premier acte de La Traviata, pourquoi ne garder que le « Sempre libera » ? Commencer dès « E strano » aurait-il soumis à trop rude épreuve un public mondain venu exclusivement se divertir au « Concerto di Capodanno »? Tel quel, le deuxième air interprété par la soprano semble vraiment bien court, malgré, là encore et plus prévisible, le contre-mi ajouté. Tout aussi bref paraît « La mia letizia infondere » privé de son complément, « Come poteva un angelo », même si Saimir Pirgu est un peu léger pour le rôle d’Oronte. Son Duc de Mantoue appelle un peu le même reproche : « Questa o quella » est susurré avec une apparente aisance mais expose des tensions dans l’aigu. Le ténor albanais arbore toujours son sourire ultra-bright pour la conclusion obligée, le Brindisi de La Traviata, qui ne lui coûte, lui, aucun effort. Cette sucette est évidemment reprise en bis, pour la plus grande joie du public. En résumé, il y a vraiment très peu à se mettre sous la dent dans ce DVD, dont on pourra sans peine se dispenser.