L’Italie aime I Pescatori di perle : le seul DVD existant de l’œuvre de Bizet a été capté en 2004 à Venise, au Teatro Malibran (avec Annick Massis en Leïla et déjà Luca Grassi en Nadir). Salerne, petite ville de Campanie, se lance à son tour dans l’entreprise (moins l’image), en s’appuyant sur la présence de deux vedettes montantes dans la distribution réunie par l’occasion : Desirée Rancatore et Celso Albelo se produisent souvent ensemble, et avec grand succès, dans la péninsule, notamment dans L’Elisir d’amore. Mais quand on décide de monter Les Pêcheurs de perles, reste à savoir quelle version on veut monter : celle de 1893, qui domina longtemps (avec le trio final composé par Benjamin Godard), la reconstitution de la partition de 1863 réalisée par Arthur Hammond dans les années 1970, ou la version que Brad Cohen établit dans les années 1990, censément plus proche de l’original ? Apparemment, à Salerne, on ne s’est pas posé tant de questions, et l’on a préféré monter la bonne vieille version Choudens, certes trafiquée après la mort de Bizet, mais qui a fait ses preuves dans tous les théâtres de la planète (exactement comme pour Offenbach celle des Contes d’Hoffmann).
Celso Albelo a une belle voix de ténor, parfois un tantinet nasale, mais qu’il utilise le plus souvent avec la délicatesse nécessaire pour Nadir. Le plus souvent, car il commet dans la romance un crime impardonnable : pourquoi inclure la dernière phrase, « ô rêve charmant », non écrite par Bizet mais ajoutée par une certaine tradition, si c’est pour la chanter en force, et non en triple piano, en falsetto, comme le font les meilleurs interprètes du rôle ? Reste à accepter une prononciation du français qui rappelle les pires jours d’un Domingo ou d’un Pavarotti : e transformés en é ou è, nasales inexistantes… Ce défaut, il le partage avec les autres interprètes : « Mé voilà sèle dans la nouit », chante Desirée Rancatore, la soprano italienne ajoutant à ce problème un autre souci. A force d’emplois plus lourds, allant peut-être au-delà de ses possibilités initiales, la voix a perdu la transparence cristalline qu’on attend pour ce personnage, et à la virtuosité préservée malgré tout se mêle désormais un vibrato assez encombrant. Le meilleur vient en fait de Luca Grassi, baryton d’une fort belle couleur, qui trouve immédiatement la noblesse de ton de Zurga, même si le français n’est pas non plus impeccable. Et l’on retrouve en Nourabad un Alastair Miles plus supportable ici qu’il ne l’est dans les opéras italiens (il interprétait déjà le rôle dans l’enregistrement d’extraits en anglais dirigés par Brad Cohen chez Chandos en 2008). En résumé, un bon souvenir pour les habitants de Salerne, une version très oubliable pour tous les autres.