Née en 1898, Lily Pons fit ses débuts lyriques scéniques en 1928, à Mulhouse, dans Lakmé. Totalement inconnue, elle conquiert le Metropolitan Opera en un soir en 1931, interprétant Lucia di Lammermoor, son rôle fétiche avec celui de l’héroïne de Delibes. Jusqu’en 1960, elle triomphera sur la scène new-yorkaise où elle chantera près de 300 représentations, dont 93 Lucia. En 1958, sa dernière apparition scénique en ces lieux sera pour défendre à nouveau le chef d’œuvre de Donizetti. Elle interprètera encore le rôle à Dallas, en 1962, aux côtés du jeune Plácido Domingo. Après sa tournée d’adieux, elle chanta encore épisodiquement en public jusqu’en 1974 ! Lily Pons est représentative de tous les sopranos coloratures légers qui interprétèrent Lucia avec des moyens et un style complètement hors de propos. Il faudra attendre Maria Callas, puis Joan Sutherland et enfin June Anderson, pour pouvoir entendre l’ouvrage chanté par des voix plus larges, aux harmoniques plus riches, capables de colorer tout en faisant preuve de virtuosité. Quand le présent enregistrement est effectué, en 1954, il y a longtemps que l’ancienne « chanteuse légère des casinos de Cannes et Deauville » (c’est l’inscription qui figurait sur ses premiers disques 78 tours) a perdu son timbre cristallin. L’air d’entrée séduit néanmoins par une certaine poésie, un peu d’abandon. Les variations sont originales et bien exécutées. Mais le timbre est usé, la voix trop mature. Par la suite, cette Lucia ne semble vouloir briller que par ses contre-ré. La scène de folie ne la met pas à son avantage, d’autant que les mi-bémol ne sont pas vraiment atteints. Surtout, la page est interprétée dans le pur style français d’une Lakmé, avec une voix dépourvue d’italianità. On suggérera aux amateurs de ce type de voix dans ce répertoire, de se retourner vers des enregistrements live plus anciens (1937 et 1944 sont ceux que l’on trouve le plus souvent).
Son Edgardo est une autre star du Metropolitan, Richard Tucker, enregistré ici dans la plénitude de ses moyens. Une fois habitué à une émission que l’on pourra trouver trop nasale, on ne pourra qu’admirer l’intégrité de ce chanteur, spinto qu’on aurait pu craindre égaré dans le bel canto. Tucker n’est ni Kraus, ni Pavarotti, mais il sait faire preuve de mordant, jouer avec les couleurs de sa voix pour faire passer les émotions, offrir un beau legato. Dommage qu’il fasse preuve parfois d’un sentimentalisme excessif, avec quelques sanglots mal venus. Frank Guarrera a des moyens corrects mais il chante ici du Verdi, avec quelques accents véristes. Passons sur le Raimondo de Norman Scott, tout juste passable. On citera, parmi les petits rôles, un jeune ténor qui allait connaître plus tard la célébrité : James McCraken, qui incarne Normanno avec une belle voix au timbre lumineux.
La partition est donnée ici avec les coupures en usage à l’époque : la plupart des reprises ou des codas sont supprimées, ainsi que la scène entre Enrico et Edgardo. Pour couronner le tout, la prise de son accuse son âge (elle aussi) : peut-être avait-elle été étudiée pour le matériel d’écoute de l’époque, toujours est-il qu’on a l’impression d’avoir les chanteurs sous le nez, tandis que l’orchestre serait loin derrière et les choeurs encore plus loin. Si les voix ressortent correctement, l’accompagnement semble nivelé : pas un coup de cymbale ne vient modifier la dynamique. Dans ces conditions, difficile de porter un jugement sur la direction de Fausto Cleva, énergique, mais plutôt générique et dépourvue de poésie, ni sur l’orchestre du Metropolitan Opera. Les chœurs de l’institution ne font pas grande impression. Précisons enfin qu’il s’agit d’un enregistrement mono et non stéréo comme indiqué par erreur.