Enregistrée dans la foulée de représentations au Metropolitan Opera de New-York, cette Luisa Miller nous offre le meilleur de deux mondes : une prise de son studio exceptionnelle et l’énergie du théâtre. Mené de main de maître par James Levine, l’orchestre du Met est précis, nerveux, racé. Le chef new-yorkais impose une énergie toscaninienne dès l’ouverture et la tension dramatique ne faiblira jamais. On se surprend à découvrir des passages que l’on jugeait mineurs, tel le chœur d’entrée dont Levine magnifie la reprise. Mais jamais ce souci du détail ne vient polluer la vision globale : avec Levine, Luisa Miller devient une implacable course à l’abime.
Quand elle apparut sur les plus grandes scènes lyriques, à partir de 1984 et durant une dizaine d’années, Aprile Millo fut considérée comme la relève des plus grands sopranos verdiens de l’âge d’or. Captée à l’apogée de ses moyens, sa Luisa est un excellent témoignage de son art : un timbre riche, une voix puissante mais capable de beaux piani, une interprétation dramatique juste. Cette réussite est d’autant plus remarquable que l’écriture du rôle est particulièrement difficile : il réclame à la fois une grande maîtrise des coloratures (dans l’entrée de Luisa notamment), mais aussi une voix large, apte à donner aux derniers actes tout le dramatisme nécessaire. A ses côtés, Plácido Domingo est à nouveau Rodolfo, rôle qu’il enregistra avec Katia Ricciarelli une dizaine d’années auparavant (il remplace pour cet enregistrement Michael Sylvester qui venait de chanter le rôle sur scène aux côtés des cinq autres rôles principaux). Avec le temps, le timbre s’est assombri et évoque le bronze plutôt que l’argent, mais l’aisance vocale est la même. L’interprétation dramatique est plus fouillée, notamment au niveau des récitatifs, et la voix du ténor espagnol s’accorde parfaitement avec celle du soprano américain (pour les amateurs de notes aiguës, précisons que Domingo conclut sans extrapolation le célèbre « Quando le sere al placido »). La carrière artistique de Vladimir Chernov fut également assez courte mais tout aussi éclatante, en particulier dans les rôles verdiens. Son Miller est en tous points remarquable : un beau timbre, un phrasé parfait, un aigu sans faille et une interprétation vivante et émouvante. Le Wurm du vétéran Paul Plishka est un brin caricatural, mais la composition finit par emporter l’adhésion et par faire oublier une légère usure des moyens. Le Conte di Walter de Jan-Hendrik Rootering contraste intelligemment par une certaine distance aristocratique, mais le timbre n’est pas très caractérisé. Enfin, Florence Quivar apporte noblesse et musicalité au rôle de Federica.
Chanteurs, orchestre et surtout chef, nous offrent ici une absolue réussite : un disque que l’on réécoutera souvent et avec un plaisir renouvelé