Si l’enregistrement s’intitule « Méditations pour le Carême » de Marc-Antoine Charpentier, c’est « autour de la figure de Sébastien de Brossard qu’a été construit le programme », nous explique Louis-Noël Bestion de Camboulas. La célébrité de l’auteur du premier dictionnaire de musique en français a quelque peu occulté la puissance du compositeur, et l’on ignore encore trop souvent les trésors qu’il nous a transmis, de Charpentier tout particulièrement. C’est pourquoi ces Méditations, aussi recueillies que dramatiques, sont judicieusement associées à deux motets de l’ami de Bossuet. Deux œuvres instrumentales contemporaines participent opportunément au climat de ferveur pathétique du CD.
C’est à Sébastien de Brossard, qui copia Charpentier et légua son extraordinaire collection – maintenant à la BNF – que l’on doit la transmission de ces Méditations, qu’il jugeait « excellentes en forme de Motets pour le Carême et sur la Passion ». Probablement destinées aux collèges de Jésuites, elles s’intégraient aux stations, moments de pénitence devant chacune des peintures ou fresques représentant les étapes de la crucifixion. Les Méditations pour le carême ne sont pas à proprement parler une œuvre rare. Bien avant William Christie (1985) nombre d’ensembles les avaient mises à leur répertoire, en partie ou intégralement. Cependant, à côté des Leçons des ténèbres, cette forme de Passion mérite d’être reconnue comme un authentique chef-d’œuvre : six des dix sections, suivant l’histoire biblique, s’articulent autour du sacrifice du Christ, à l’exception des motets introductifs (…Tristis est anima mea) et du motet final centré sur Abraham et Isaac. Par ailleurs, chaque motet prend ici une dimension dramatique, où interviennent les principaux acteurs de la Passion. Le trio de chanteurs, sorte de chœur, est le narrateur ou une sorte d’évangéliste. Chacun chantera ensuite un ou plusieurs rôles. Le haute-contre sera Ostaria, et Isaac ; le ténor, Jésus, Servus, puis Abraham ; enfin la basse chantera Pierre, Pilate, et Dieu. L’économie de moyens, le refus de l’apparat focalisent l’attention sur le texte, dont le syllabisme favorise l’intelligibilité, ce qui n’exclut pas quelques figuralismes (notamment les pleurs amers de la 5e). La réalisation, sobre, austère, est confiée aux trois chanteurs et à la basse continue, ici réalisée avec maestria à la viole de gambe, au luth et à l’orgue ou au clavecin. L’extraordinaire richesse d’invention de Charpentier se déploie magistralement, qu’il s’agisse d’entrelacer les lignes dans un contrepoint recherché, ou de proclamer, avec la force de l’homophonie. La souplesse de la métrique participe à la justesse de l’expression. L’harmonie, riche, illustre les tensions et le caractère dramatique ou lyrique de l’ouvrage. L’interprétation qu’anime Louis-Noël Bestion de Camboulas en renouvelle la lecture, avec une expressivité exemplaire. La souffrance, l’accablement se mêlent à la ferveur et au recueillement. A-t-on jamais mieux traduit la mystique de Loyola et de Sainte Thérèse d’Avila ?
Les deux motets de Sébastien de Brossard, qui ne sont petits que par l’effectif requis, sont deux grandes œuvres, particulièrement l’ample O plenum irarum dies – écrit pour basse solo – sur lequel s’achève l’enregistrement. Publié également par Ballard trois ans après, en 1698, Salve Rex Christe fait appel à deux voix égales, ici les ténors. Leur esthétique rejoint celle de Charpentier. De caractère funèbre (O plenum étant dédié « pro defunctis »), la variété des sections, dans une écriture figuraliste, en soutient toujours l’intérêt. Tourmenté, spectaculaire, cataclysmique est ainsi le « Turbata clade publica ». L’émotion nous étreint.
Allemande de la suite en ut mineur, le Tombeau de Mesdemoiselles de Visée (la Plainte), que nous offre le théorbe d’Etienne Galletier, nous rappelle bien sûr la qualité exceptionnelle des œuvres du guitariste du roi, mais confirme aussi combien la renaissance française de l’instrument porte ses fruits. Il en va de même pour la viole de Juliette Guignard, dont le prélude de Marin Marais est exemplaire. Un programme admirablement conçu et réalisé, qui vous tient en haleine du début à la fin.
La brochure, complète, comporte la présentation des œuvres et des interprètes, puis les traductions française et anglaise des textes chantés.
On ne répétera jamais assez tout ce dont nous sommes redevables à Ambronay, qu’il s’agisse de découvrir des œuvres rares ou renouvelées, comme de retrouver des interprètes inspirés. Les Méditations seront offertes au public du Festival le 1er octobre. Les amateurs seront curieux de comparer les approches et les réalisations de Louis-Noël Bestion de Camboulas à celles d’Emmanuelle Haïm, cette dernière proposant le même ouvrage au public lillois en avril prochain.