Même si l’œuvre fait parfois le bonheur des troupes amateurs, Madame l’Archiduc attend encore sa résurrection professionnelle sur une grande scène lyrique. Il y a du travail pour que cette opérette de 1874 parle au public d’aujourd’hui car il ne faut surtout pas espérer y trouver l’Offenbach d’avant la guerre franco-prussienne : guère de satire et beaucoup de tendresse, voire de sensiblerie, avec un livret qui n’est pas vraiment palpitant. Pourtant, il y a dans la partition des passages qui lancent des regards appuyés vers les grands succès de la décennie précédente. La chanson du capitaine Fortunato reprend les effets de trompette de la chanson du régiment dans La Grande-Duchesse. La magnifique mélodie du « Tais-toi, tais-toi, tu n’es pas plus malin que moi », adressé par Marietta à Giletti, évoque inévitablement le « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes » chanté à Piquillo par la Périchole chante à Piquillo. Madame l’Archiduc, c’est aussi le fameux Sextuor de l’Alphabet, chanté par Anne Sofie von Otter et quelques complices lors du concert Offenbach dirigé par Marc Minkowski ; c’est l’air « Brigadier vous avez raison » qui inspira sans doute la chanson 1900 du même titre, l’air de Marietta « L’Archiduc n’a pas eu ça », ou le duo Fortunato-Marietta, « Le plus gentil des trois ». Le démarrage est laborieux, mais les deuxième et troisième acte sont plus riches musicalement.
Du temps de la RTF, ou même de l’ORTF, Madame l’Archiduc connut plusieurs fois les honneurs du concert. Le label Malibran nous livre ce qui semble être la version la plus ancienne (1956 ou 1958 ou), rééditée par l’INA mais uniquement en téléchargement. Le concert de 1963, sous la baguette de Jean-Claude Hartemann, fut diffusé en CD par Musidisc dans la série « Gaîté Lyrique », avec Lina Dachary en Marietta et Raymond Amade en Fortunato ; Gaston Rey retrouvait le rôle du comte, Aimé Doniat, Fortunato en 1958, y devenait Riccardo, tandis que René Lenoty passait de Giletti à un conspirateur, rejoignant Jacques Pruvost et Genio. La version de 1969, à nouveau dirigée par Marcel Cariven, proposait à côté des inévitables Pruvost, Rey et Lenoty dans de petits rôles, des têtes d’affiche renouvelées et un peu plus conformes aux tessitures voulues par Offenbach.
En 1874, Marietta fut créée par la mezzo Anna Judic, et Fortunato, rôle travesti, par la soprano Laurence Grivot. Qu’entendons-nous en 1958 ? Un soprano léger en Marietta et un ténor en Fortunato. Dans ces conditions, que reste-t-il du duo censé soprano-mezzo ? C’est seulement en 1969 que sera restitué à une voix féminine ce personnage qui se qualifie lui-même de « Piccolino Cherubino ». Claudine Collart est irrésistible, même si elle n’a pas du tout la voix du rôle, et Aimé Doniat justifie sa réputation de chanteur de charme. Autour d’eux, des voix chargées de personnalité, comme celle, toujours incroyable, d’André Balbon en archiduc. Gaston Rey, décidément mis à toutes les sauces par la Radiodiffusion française – la même année, il était Raflafla, rôle de ténor, dans Mesdames de la Halle –, hérite cette fois d’un personnage créé à ses débuts par le grand Lucien Fugère, baryton pour qui Massenet allait plus tard écrire quelques-uns de ses plus beaux rôles.
L’Offenbach qu’on aime, le « vrai », on le retrouve dans Le Fifre enchanté : cette petite chose en un acte contient intacte toute la verve de la Belle Hélène, et pour cause : l’œuvre date de 1864 (elle fut d’abord créée à Bad Ems, puis quatre ans plus tard aux Bouffes Parisiens). Une fois de plus, le rôle principal masculin, conçu pour une chanteuse en travesti, est abusivement confié à un ténor, mais il faut bien en prendre son parti. Et même s’il manque le chœur des Fifres, le plaisir de la redécouverte l’emporte, avec notamment le quintette « Ça sent la truffe ». L’esprit des interprètes fait accepter beaucoup de choses, Nicole Broissin est à la hauteur du rôle virtuose de Coraline, et même Joseph Peyron parvient à être très acceptable en Rigobert, même si on aimerait entendre une soprano qui rétablirait l’équilibre des voix voulu par Offenbach.