Admiré dans sa Venise natale avant de briller à Mantoue, Rome, Bologne et Vienne, au service de l’empereur Charles VI, Antonio Caldara est plutôt bien loti : nombre d’interprètes de renom ont levé le voile sur une production abondante, en particulier les cantates et les oratorios. Pourtant, tous n’ont pas pleinement rendu justice à une musique raffinée qui cède rarement à la flamboyance.
Le chef et chanteur Damien Guillon a jeté son dévolu sur Maddalena ai piedi di Cristo, sans doute l’œuvre la plus populaire de Caldara avec La Passione di Gesù Cristo (1730). Cet oratorio certainement créé à Venise au cours de la saison 1697-1698 nous est parvenu dans une édition viennoise de 1713. Il dépeint la conversion de Marie-Madeleine à une vie pieuse : Amour terrestre et Amour céleste se disputent son âme, Marthe montre la voie et les doutes d’un pharisien permettent à la sainte de réaffirmer une contrition sincère, jusqu’au pardon du Christ. Difficile de ne pas comparer le nouvel album à la superbe version enregistrée par René Jacobs en 1995, à laquelle cette Maddalena doit sa relative popularité. Par rapport à l’orchestre de la Schola Cantorum Basiliensis que dirigeait ce dernier, les textures du Banquet céleste sont plus légères : l’effectif est plus réduit, les couleurs un peu moins vives et variées (Jacobs intégrait des bassons et un théorbe, et sollicitait davantage l’orgue). Cependant, avec ses moyens Le Banquet céleste se montre fluide, expressif, et anime parfaitement une partition écrite pour les seules cordes où Caldara varie ses effets en divisant certaines parties ou en ménageant de beaux solos (violoncelle de « Pompe inutili »). Surtout, Guillon et son ensemble trouvent la pulsation sans laquelle la magie de Caldara n’opère pas tout à fait, et qui fait de cette approche intimiste un succès. Autre atout du disque, Emmanuelle de Negri est une superbe Marie-Madeleine. Dès le premier récitatif, on comprend que son incarnation sera plus humaine que celle de Maria Cristina Kiehr, voix enluminée qui, plus Marie que pécheresse, semble déjà béate au début de l’œuvre. Quand tant d’arias évoquent les larmes, Negri dessine une Marie-Madeleine volontaire, ni éplorée ni alanguie, dont le portrait touchant nous semble intéressant et moderne. Elle est de surcroît bien appariée à Maïlys de Villoutreys, Marthe fraîche et expressive.
L’intérêt de l’oratorio repose beaucoup sur la joute entre Amor terreno et Amor celeste, paire de contraltos parfaitement différenciés en 1995 par Bernarda Fink et Andreas Scholl. Tantôt miel, tantôt soufre, Fink avait la séduction du diable. Sympathique et bien chantante, Benedetta Mazzucato manque de pittoresque et n’attise ni l’érotisme qui fait le sel des oratorios de l’époque (« Deh librate amoretti »), ni les braises démoniaques de ses deux dernières arias. Andreas Scholl trouvait dans l’Amour céleste un emploi idéal, voix superbe, autorité sereine, rai de lumière dans une cathédrale. Damien Guillon n’a pas l’organe aussi flatteur que celui qui fut son mentor, mais il a davantage le sens du drame et son Amor celeste plus sanguin s’impose par sa musicalité. Reste que le parfait antagonisme de Fink et Scholl fait ici défaut. Les autres rôles interviennent surtout dans la seconde partie de l’œuvre. Un peu court dans le grave, le baryton Riccardo Novaro a le verbe haut et la vocalise aisée. Le Christ n’a qu’un rôle accessoire, et Reinoud van Mechelen s’acquitte correctement de ses deux arias. Notons que par rapport au coffret Jacobs, le duetto « Il sentier ch’ora tu prendi » (Amor celeste et Amor terreno) est coupé, mais deux arias sont rétablies : « Se nel ciel » de Maddalena et « Dove il Re sapiente eresse » du Fariseo.
Cette nouvelle version trouve avantageusement sa place aux côtés de l’intégrale Jacobs et enrichit opportunément la discographie d’un chef-d’œuvre dont on espère d’autres interprétations encore.