« Il est vrai que je fais de mon mieux pour donner le meilleur de moi-même à mon public, tout le temps, autant que possible, même si je crains que ce ne soit pas toujours compris et apprécié ». Dans les propos de Maria Callas, dans ses écrits, comme dans cette lettre adressée le 1er février 1959 à Lola Beber – une admiratrice –, revient inlassablement tel un leitmotiv ce sentiment non dénué de rancœur d’être méjugée.
Celle qui ne voulait pas être surnommée divine « parce que l’on pardonne plus aux hommes qu’aux dieux » voit aujourd’hui non seulement sa correspondance – plus de 300 lettres – mais aussi ses mémoires inachevées et autres documents exceptionnels réunis en un seul ouvrage par Tom Volf.
Faut-il encore présenter ce monomaniaque, admirateur inconditionnel de Maria Callas, commissaire d’une exposition, réalisateur d’un film et déjà auteur de plusieurs publications sur la plus grande soprano du 20e siècle, voire de tous les temps ? De son propre aveu, dans une préface sous forme d’une lettre à la sincérité désarmante – « Chère Madame Callas, chère Maria… », ce livre représente l’ultime étape d’une « mission » qui, cinq années durant, l’a conduit à rechercher la vérité d’une personnalité défigurée par « les clichés et les ragots ». Quête à laquelle il s’est dédié « cœur et âme », afin de « faire honneur » au nom de Maria Callas, « servir son art et sa mémoire », nouveau sigisbée rencontrant les proches et les témoins, célèbres ou anonymes, collectant inlassablement tous les documents possibles – écrits, photos, bandes audio et vidéo –, la plupart inédit.
Une telle opiniâtreté, l’énergie, mieux l’amour, que l’on imagine nécessaires pour « donner naissance à ce vaste projet, auquel personne ne croyait », pour déverrouiller les portes, pour séduire ou convaincre, forcent l’admiration. Admirables aussi le dévouement inconditionnel et le travail de fourmi pour rassembler, traduire et annoter par ordre chronologique l’ensemble de ces textes. Des photos et les dates d’apparitions scéniques émaillent la chronologie.
Reconnaissons-le : l’intérêt d’un grand nombre de ces écrits demeure limité, au mieux anecdotique. Si les fragments de mémoire rédigés en 1977 méritent d’être lus car testamentaires, l’autobiographie, inachevée, dictée entre fin 1956 et début 1957, alors que la rivalité avec Renata Tebaldi atteignait son paroxysme, s’apparente à un règlement de compte sous forme de déballage. Ni l’une, ni l’autre des deux chanteuses n’en sortent grandies. « Je déteste parler de moi… Malheureusement, à force de laisser parler les autres, je me retrouve au centre d’innombrables commérages », se justifie Maria Callas. Toujours ce sentiment d’être méjugée.
L’épilogue, qui relate brièvement ses obsèques à l’église orthodoxe de la rue Georges Bizet à Paris est poignant car « ce jour-là, il n’y avait pas foule… ». Mais plutôt qu’achever le recueil sur une note amère, Tom Volf a eu la bonne idée de reproduire un article écrit par le critique musical Teodoro Celli à la suite du « scandale » de Rome en 1958. Maria Callas aimait particulièrement ce texte qu’elle cite dans plusieurs lettres. La lecture en est vivement recommandée à qui souhaite comprendre l’art de la cantatrice, et plus généralement du chant lyrique.
Quelles que soient, en conclusion, nos réserves sur la valeur inégale de ces témoignages, le visage de la femme se dessine en filigrane, mieux que dans tous les ouvrages que nous avons pu lire jusqu’à présent. Le reste, à savoir la Musique, « est une chose trop grande pour pouvoir en parler », disait Maria Callas, « Mais on peut toujours la servir, cependant et toujours la respecter avec humilité ». A l’exemple de Tom Volf, chère Madame Callas, chère Maria, nous vous en remercions.