Du goût de Marie-Laure Garnier pour le répertoire mélodique, nul ne saurait douter. La soprano française, révélation 2021 des Victoires de la musique classique, a intégré l’Académie Orsay-Royaumont en 2019. Là comme ailleurs, elle forme avec la pianiste Célia Oneto Bensaid sous le nom de Nitescence un duo de musique de chambre, auquel s’est adjoint en mars 2022 le quatuor Hanson à l’occasion d’une résidence artistique au château de Kerbastic, siège de la Fondation Polignac-Kerjean.
« Célia est une chambriste de haut vol qui a le verbe au bout des doigts autant qu’au bout des lèvres. Le quatuor Hanson a l’expérience de l’accompagnement des voix. C’est un bonheur pour une chanteuse de jouer avec des partenaires si sensibles, à l’écoute du texte et attentifs au fait de lui laisser l’espace nécessaire pour une réception optimale. », raconte Marie-Laure Garnier, « Le temps de résidence nous a permis d’aller encore plus loin dans notre travail, jusqu’à l’instant live où l’on joue avec un nouveau paramètre qu’est le public ».
Cet « instant live », capté par les micros de B Records, est à présent disponible en CD sous le titre de « Chants nostalgiques » – que Marie-Laure Garnier justifie par l’étymologie du mot « nostalgie », du grec nostos (le retour) et algos (la douleur), preuve selon elle d’une « complexité psychologique » que l’on retrouve dans les quatre pièces du programme.
A commencer par La Bonne Chanson, cycle de neuf mélodies d’après Verlaine, que Fauré instrumenta plus tard pour quintette à cordes et piano avant de juger cet arrangement « détestable et inutile ». Sans s’autoriser de tels adjectifs, il faut admettre que l’adjonction d’instruments accentue la complexité harmonique de pages si audacieuses que Saint-Saëns à leur écoute se serait écrié « Fauré est complètement fou ! ». Marie-Laure Garnier entre à tâtons dans l’œuvre. Si les duretés semblent imputables à la captation et au nécessaire échauffement de la voix, l’imprécision de la diction surprend s’agissant d’une chanteuse qui affirme avoir pour priorité absolue l’intelligibilité du texte.
Plus que Charlotte Sohy (1887-1955), compositrice redécouverte récemment, Ernest Chausson agit comme un révélateur. Chanson perpétuelle dans un premier temps, avantagée au contraire de précédemment par l’acuité douloureuse de la version pour piano et quatuor à cordes, où le mot devenu intelligible se charge de sens, où l’âcreté du timbre sert l’amertume du propos, où la ligne s’étire comme une cicatrice, où le récit suit son cours tortueux, blessé, bilieux, jusqu’au cri final, déchirant. Un même frisson anime Le Poème de l’Amour et de la mer. Le piano de Célia Oneto Bensaid dessine des vagues. Le lyrisme auquel parvient le quatuor Hanson pallie l’absence d’orchestre. De nouveau, la voix s’arrime aux vers, s’immerge – s’enchâsse – dans la musique, s’identifie au propos dont elle accuse chaque intention avec une sincérité et une pudeur qui touchent à l’envoutement, rendant tangible le témoignage de Marie-Laure Garnier : « nous avons vécu un vrai moment de grâce et d’émotion, avec ces quelques secondes suspendues, une qualité de silence avant les applaudissements, preuve que le public ne fut pas indifférent ». Tout comme nul ne restera insensible à cette enregistrement du chef d’œuvre de Chausson.