Arthur Bliss (1891-1975) est l’un de ces compositeurs britanniques dont on n’entend à peu près jamais la musique en France. Evidemment, l’après-guerre fut fatale à ce membre de la génération située entre celle de Vaughan Williams et celle de Britten. Après s’être enthousiasmé pour la modernité de l’entre-deux-guerres, Bliss joua de malchance dans les années 1950, entre l’échec de son opéra The Olympians, donné à Covent Garden en 1949 dans des conditions assez lamentables, et fut systématiquement évincé par son jeune rival Benjamin Britten, à Coventry en 1962 lors de la création de ses Béatitudes ou à Aldeburgh en 1970 quand fut donnée la première audition de son concerto pour violoncelle, écrit pour Rostropovitch.
Heureusement, le Royaume-Uni n’oublie pas Bliss, dont la musique possède assez de qualités pour continuer à attirer les interprètes. Le chef britannique Andrew Davis profite de chaque occasion de programmer ses œuvres, comme il le fit par exemple en 2015 avec Morning Heroes, lors d’un concert londonien où La Mort de Cléopâtre était interprétée en première partie par une certaine Sarah Connolly. Est-ce alors que naquit l’idée du disque Bliss que vient de publier le label Chandos, chez qui était paru en 2018 un enregistrement des Béatitudes dirigé par le même Andrew Davis ? Ce qui est sûr, c’est qu’avec de tels défenseurs, la musique de Bliss aurait tout pour s’immiscer dans nos salles de concert, sur programmateurs et public étaient moins méfiants envers tout nom moins connu.
Entre deux grandes pièces vocales, le disque propose une œuvre pour orchestre seul, Meditations on a Theme by John Blow. C’est en déchiffrant les Coronation Anthems de John Blow (1695) que le compositeur fut séduit par une phrase mélodique précédant les mots « Le Seigneur est mon berger », sur laquelle il décida d’écrire une série de variations, associées au texte du Psaume 22. Ces Meditations, d’une durée d’une demi-heure, peuvent être rapprochées d’autres poèmes symphoniques du XXe siècle et montrent que Bliss avait bien digéré la leçon de Richard Strauss.
La « scène pour contralto est orchestre » intitulée The Enchantress trahit, elle, l’influence d’Elektra, notamment dans l’usage des percussions à la toute fin de ces 17 minutes, mais aussi dans le discours tourmenté qui est confiée à la voix soliste. Inspiré d’une idylle de Théocrite, ce monologue donne la parole à une amante éconduite qui invoque Séléné, Hécate, Circé et de Médée pour reconquérir son amant. L’œuvre fut conçue pour Kathleen Ferrier, qui la créa en 1951, et le label Lyrita avait réédité le premier enregistrement réalisé. Chandos possédait déjà à son catalogue une belle version parue en 1991, avec Linda Finnie, mais Sarah Connolly, un peu moins wagnérienne que sa consœur, offre une image plus nuancée du personnage, et le BBC Symphony Orchestra est moins clinquant.
A la perspective de découvrir en première mondiale au disque Mary de Magdala, on se dit que c’est sans doute à Salomé que Bliss aura pu se référer pour traiter cette histoire de pécheresse et de prophète, où le Christ est une basse comme Jochanaan. Pourtant, la musique de cette cantate sacrée se révèle au contraire très dépouillée, plus debussyste que straussienne, malgré les quelques éclats de Marie-Madeleine confrontée à ses souvenirs (l’épisode du vase de parfum), aux conseils des anges et, finalement, à l’apparition du Christ en personne. C’est le fameux moment du « Noli me tangere » tant illustré par l’art occidental : Jésus ressuscité, sous l’apparence d’un jardinier, dissuade la pécheresse de le toucher, car il n’a pas encore rejoint son Père. Très loin du délire final d’Elektra, l’extase de Marie-Madeleine reste très mesurée, certains instants lorgnant plus du côté du Chevalier à la rose que du premier Strauss. Sarah Connolly trouve là une autre belle occasion de déployer son talent, communiquant une émotion intense jusque dans les derniers mots de l’héroïne, avant que le silence ne referme l’œuvre. Outre la contralto qui tient le rôle-titre, la partition fait intervenir un chœur – excellent BBC Symphony Chorus – et, on l’a dit, une voix grave masculine, James Platt, un peu plébéien dans sa première intervention.