La voix de Peter Pears est bien connue, grâce aux rééditions des opéras de Britten enregistrés par le compositeur lui-même. Le ténor britannique s’était imposé par ses qualités dramatiques, avec un timbre si particulier dont il eut l’art d’exploiter jusqu’à ce qui, chez d’autres, aurait été perçu comme des défauts. On sait peut-être moins que, tel Dietrich Fischer-Dieskau, il pratiqua également le mélodrame, usant de sa voix parlée dans les partitions exigeant un récitant. Le disque proposé par le label Lyrita permet précisément de l’entendre dans ce rôle, dans un enregistrement réalisé pour Decca en 1960, et donc indépendamment de tout soupçon de déclin vocal qui l’aurait obligé à se réfugier dans la parole. Cette année-là, Pears avait tout juste cinquante ans, il créait le rôle de Flute dans A Midsummer Night’s Dream ; en 1962, il serait la voix anglaise du War Requiem et enregistrerait l’Evangéliste de la Passion selon saint Mathieu pour Otto Klemperer. Britten allait encore lui écrire quelques beaux rôles, notamment la Folle dans Curlew River et Aschenbach dans Death in Venice.
Mais Peter Pears ne chantait pas que Britten : il interprétait aussi bien des compositeurs du passé, ainsi que du présent. Et ce disque nous permet de découvrir Mátyás Seiber (1905-1960), compositeur hongrois, élève de Kodály, qui s’installa en Angleterre en 1935 et enseigna à partir de 1942 au Morley College de Londres, sur l’invitation de Michael Tippett. Fortement marqué par James Joyces, Seiber décida de mettre en musique un extrait de son chef-d’œuvre, Ulysses : du chapitre « Ithaque », le compositeur retint quelques phrases marquantes pour en tirer une cantate pour ténor, chœur et orchestre. A la création, le soliste était Richard Lewis, grand mozartien gallois qui brillait alors à Covent Garden et à Glyndebourne. Pears chanta cette cantate en 1957, mais dans l’enregistrement réalisé en 1972 par la BBC, c’est Alexander Young, qui assura notamment la création britannique de The Rake’s Progress et qui enregistra le rôle de Tom Rakewell sous la direction de Stravinski.
Dix ans après Ulysses, Seiber revint à Joyce, mais cette fois à travers une des premières fictions de l’écrivain irlandais, son Portrait de l’artiste en jeune homme, dont il mit en musique trois fragments. C’est là qu’on entend la voix parlée de Peter Pears, qui en avait assuré la création à Bâle et qui aurait dû la redonner en 1959 au festival d’Aldeburgh si une indisposition ne l’en avait empêché. Les Trois fragments avaient déjà été réédités par Decca, curieusement couplés avec deux quintettes de Chostakovitch et Prokofiev. Si la cantate The Riverrun de Humphrey Searle, inspirée par Finnegans Wake, ne durait pas près d’une demi-heure, on aurait pu imaginer un disque l’associant à ces deux pièces joyciennes, mais Lyrita a choisi un hommage à Seiber, à qui l’on doit une musique très « fifties », porteuse d’atmosphères énigmatiques et raffinées.