L’œuvre extra-musicale de Ravel aura été le projet d’une vie, celle de Marcel Cornejo, auquel nous étions déjà redevables de la plus riche publication de ses lettres, écrits, articles et entretiens. En 2018, sa première version, maintenant épuisée, fut saluée comme le monument que chacun attendait . Elle comportait 1771 p. ; les deux tomes de la nouvelle publication en comptent 2933… Nous disposions déjà de la correspondance de Debussy, éditée en 2005 par François Lesure et Denis Herlin (déjà chez Gallimard). Le cent-cinquantenaire du compositeur nous vaut cette édition, enrichie de plus de 250 nouveaux documents.
Malgré son « aversion pour la correspondance » (G. Jean-Aubry), Ravel se conforma aux usages de son temps, bien révolus. Les 2000 pièces publiées en témoignent, qui, par-delà l’homme et l’œuvre, permettent de reconstituer ses liens et son activité. On nous pardonnera de citer notre critique de la première édition : « Le propre de la correspondance est de révéler le caractère du scripteur, de le situer dans son réseau de connaissances, d’en suivre l’activité, les réactions, les évolutions, d’entrer en quelque sorte dans son intimité. Si la littérature épistolaire est riche, la plus authentique reste encore celle rédigée sans autre intention que de communiquer avec le destinataire. Elle nous permet d’accompagner Maurice Ravel au quotidien, de partager la servitude des corrections, des obligations en tous genres, le bonheur des amitiés, mais aussi le travail fécond, de la genèse à l’achèvement et à la diffusion des œuvres. Nous y croisons ses proches, ses amis, ses mécènes, ses pairs, les éditeurs et la critique, toutes les composantes de ce milieu parisien, depuis la ‘Belle époque’ jusqu’à l’entre-deux guerres. Les anecdotes y abondent, amusantes, parfois truculentes, toujours instructives. La santé de ses chats comme les relations du microcosme du Tout-Paris en sont d’excellentes illustrations. Son sens inné de l’humour, son esprit piquant, ses réparties séduisent et constituent un trait essentiel de sa personnalité. Mieux qu’aucune des nombreuses études qui lui ont été consacrées, cette mise en perspective nous permet de mesurer ses qualités humaines, dont témoignaient ceux qui l’avaient connu. Le bon Roland-Manuel, l’ami fidèle, en a dressé le portrait le plus juste, le plus clairvoyant : tout est ici confirmé. L’homme apparaît tel qu’en lui-même, direct, affable, jovial, ouvert, généreux, attentif à chacun. La qualité littéraire est indéniable, qu’il s’agisse de croquer un portrait, de narrer un voyage, en province, en Europe, la tournée aux Etats-Unis, de décrire les péripéties d’une composition, de sa correction, de sa création et de son édition. Le style de Ravel est délicieux, sa plume se prête à toutes les expressions, de la mondanité à la franche camaraderie, avec concision et, surtout, avec esprit. La clarté, l’ordre, la virilité, l’humour en sont la marque, comme dans sa musique. »
Décrite en début du tome I, la méthode est exemplaire de clarté et de rigueur. Pas loin de cent pages sont consacrées à la chronologie détaillée, précieux outil. La correspondance est organisée chronologiquement avec le plus grand soin, mêlant lettres de Ravel à celles reçues, et à d’autres le concernant, écrites par ses proches, toutes fort instructives. Les notes de bas de page les localisent et les éclairent.
Les écrits et entretiens (avec un facétieux « Dictionnaire musical humoristique ») complètent le corpus. En annexe, le tableau documenté des correspondants du compositeur, les carnets d’adresse, les décorations, les contrats et documents comptables, la santé… et on en passe : tout, assorti des index, de la bibliographie. La Bible ravélienne.
Nous reprenons à dessein la conclusion de notre compte rendu de la première édition, maintenant enrichie : « cette somme, contribution fondamentale à la connaissance de Ravel, est appelée à faire date : la référence. Cette richesse ne doit pas constituer un écueil à la diffusion de l’ouvrage. D’une lecture aisée, rafraichissante, le livre aurait vocation à devenir le compagnon idéal des insomniaques, pouvant être interrompu et repris à tout moment. Le simple curieux de la vie musicale, quotidienne et mondaine, du Tout-Paris comme de la province, de France comme de l’étranger, comme le mélomane épris de Ravel, ou le spécialiste en feront leur miel ».