Certaines rencontres sont particulièrement fécondes. Celle du pianiste et compositeur Brad Mehldau et de Ian Bostridge, en 2016, a débouché sur The Folly of Desire, cycle de mélodies composé par Brad Mehldau et donné à l’occasion de nombreux concerts, puis porté au disque chez Pentatone.
Dans le prolongement de la tradition du Lied – que Bostridge maîtrise comme personne – The Folly of Desire explore les passions et les pulsions humaines dans un monde où la notion de consentement est désormais centrale mais, néanmoins, plutôt récente et où, en toute hypothèse, cette notion reste un idéal encore trop souvent négligé. Si le désir peut se vivre à deux et si la passion charnelle peut se traduire par une alchimie naturelle et réciproque, le désir peut aussi être imposé, violent, destructeur.
À travers plusieurs textes qui, à eux seuls, pourraient justifier l’intérêt du cycle, Mehldau explore les formes et nuances du désir et, comme par extension ou conséquence, du consentement, de l’attirance physique, de l’amour. L’on découvre ou redécouvre ainsi de merveilleux poèmes de William Blake, William Butler Yeats, Shakespeare, W. H. Auden et E. E. Cummings, ou encore de Brecht et Goethe. Parfaitement adéquate aux textes qu’elle sert, la musique de Mehldau permet à Bostridge de développer un phrasé qui, tout en étant musicalement évident, renforce la portée et le sens de certains textes. Ainsi la musique traduit les tensions et les résolutions, la violence et la tendresse, la naissance et l’intensification du désir, le moment où il devient insupportable. L’accompagnement au piano est riche et coloré. Les influences du jazz sont évidentes mais subtiles, de même qu’un certain goût pour l’improvisation.
Composé pour le chanteur, le cycle trouve en Bostridge un interprète idéal. La tessiture est confortable, mobilisant souvent le médium et les graves. On serait d’ailleurs tenté de qualifier The Folly of Desire de cycle pour baryton.
Quatre standards de jazz et un Lied de Schubert closent l’enregistrement et prolongent l’exploration initiée par le cycle : désir, rêve, absence. La combinaison de pièces de jazz et d’un Lied confirme du reste les influences des premières pistes. Si on trouve Bostridge moins convaincant dans les standards, le « Nacht und Träume » de Schubert confirme les qualités d’un grand mélodiste et permet d’apprécier le registre plus aigu du ténor, toujours plein et lumineux.