Après un bouquet de Pisně milostné il y a 8 ans, Magdalena Kožená revient à la musique tchèque avec un programme qui se veut largement inspiré par le folklore et par les chansons que les mères chantent à leurs enfants dans les contrées moraves, terre natale de la plus photogénique mezzo de notre temps… La comparaison (inévitable) entre les deux enregistrements montre le chemin parcouru depuis cette première carte de visite au répertoire déjà très intéressant. Et les chansons d’amour d’antan de se révéler placide et froide à l’écoute de ce disque où la chaleureuse voix de Kožená pourrait presque se suffire à elle même, tant le timbre est séduisant, voire troublant…
Avant de commenter la prestation vocale, interrogeons-nous sur la présentation du disque. La pochette est en effet illustrée de quelques photos, sobres mais « chic », de la belle Magdalena sur fond noir d’où ne ressortent que les cheveux blonds et les yeux bleus. Parfait pour un récital de gala de Noël distillant quelques légèretés rossiniennes ou straussiennes, mais est-il vraiment pertinent d’illustrer un récital axé autour du folklore et de la tradition musicale d’Europe centrale de cette manière très BCBG ? Certes, photographier Kožená en costume traditionnel morave dansant autour d’un tonnelet de vin eut été un peu kitsch, mais n’y a-t-il pas un juste milieu ? Une chance que la chanteuse soit dotée d’une grâce naturelle qui l’éloigne d’autant de certaines de ses collègues vulgairement maquillées et dépourvue du talent de la mezzo-soprano tchèque.
Le récital débute de manière on ne peut plus inattendue par une mélodie populaire tchèque, chantée a capella, comme pour planter le décor, avant d’enchaîner sur une poignée d’autres chants populaires, ceux collectés et composés par Leoš Janáček sur des poèmes moraves. Quelques accents peuvent sembler mal venus ou le rubato un peu forcé (Lavečka), l’ensemble est un peu trop recherché et manque de la spontanéité qui fait le charme de ces pages . Maniérés ou trop « embourgeoisés » pour cette musique Kožená et Martineau ? Peut-être… Mais dès les plages suivantes, le charme opère. Les trois Cikánské melodie de Dvořák choisies nous enveloppent d’une impalpable poésie (le célèbre Když mne stará matka qui donne son titre au disque) ou nous communiquent l’énergie de la musique tzigane vue par Dvořák (Struna naladěna).
Pour suivre, trois Chants et danses populaires de la région de Těšin d’Erwin Schulhoff, compositeur qui périt dans un camp de concentration, desquels Kožená fait parfaitement ressortir l’espièglerie (Pasala volky), la force vitale (Když sem byla mamince na klině), ou la solennité (Sidej na vuz). Passons rapidement sur les polyglottes et décevantes – sur le plan compositionnel – Chansons pour luth (ici accompagnées à la guitare) de Petr Eben pour arriver au point culminant de ce programme : les Pohádka srdce (« Conte du cœur ») de Vítezlav Novák. Ce grand compositeur, amoureux des Tatras et de la nature, laisse au répertoire vocal quelques opéras, une magnifique cantate « maritime », Boureš (La tempête) et quelques mélodies comme ces petits bijoux post-romantiques. Parfaitement chantée et subtilement accompagnée, la deuxième mélodie du recueil, « Zda není snem ? », constitue sans conteste un des moments forts de ce disque tant l’émotion qu’elle suscite est intense. Plus encore que dans le reste sa prestation, Martineau parvient à mettre en valeur le timbre magnifique de la chanteuse tout en soulignant les subtilités harmoniques de ces compositions.
Retour à Dvořák ensuite avec, entre autres, deux très beaux – mais trop courts – extraits des Duos moraves, chantés en parfaite complicité avec Dorothea Röschmann. Le récital se poursuit avec le compositeur « méconnu » préféré de Kožená : Bohuslav Martinů (il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que 2009 sera l’occasion de commémorer le cinquantième anniversaire de sa mort). Après avoir enregistré ses Chansons d’une page il y a huit ans, c’est avec les Chansons de deux pages que la jolie Magdalena célèbre cette fois le maître. Belle progression… L’attention minutieuse portée au contenu littéraire de ces pages (14 au total donc) parvient à mettre en lumière toute la richesse de l’écriture de ce prolifique compositeur. Kožená réussit à trouver l’essence de ces petites mélodies, faisant de chacune un monde en soi, ne fut-ce que pour quelques secondes. Humour, tendresse et vigueur sont au rendez-vous. Le disque se termine par deux mélodies de Janáček toutes en mystère (A co to je za slaviček) et en vitalité (V černym lese). Plus d’une heure de belle musique, de programme varié et de très beau chant qui ne déçoit que rarement, même si quelques-uns penseront que certaines mélodies sont un peu trop intellectualisées. « Děkuji moc » pour ce séduisant récital qui ravira les fans et les mélomanes curieux de ce répertoire.
Nicolas Derny