Alors qu’on l’interrogeait en 1892 sur la « crise théâtrale » que semblait connaître le genre lyrique, Massenet répondit : « Ah !… ah !… vraiment il y a crise… Tiens, tiens, … c’est curieux… je fais pourtant des recettes avec Manon… », réponse admirable de fausse naïveté, de la part d’un homme dont les œuvres dominaient alors les théâtres de la planète. C’est l’un des attraits du volume édité par Jean-Christophe Branger que d’avoir adjoint à l’autobiographie du compositeur toute une série d’articles de presse permettant d’entendre la voix du maître stéphanois, peut-être moins conservateur qu’il n’y paraît (« J’aime beaucoup aller entendre Pelléas. C’est une œuvre très nouvelle et très agréable à écouter »), ainsi que divers discours officiels dont il n’est pas sûr qu’il ait réellement été l’auteur. Il est assez cocasse d’entendre Massenet devoir faire à plusieurs reprises l’éloge funèbre du sculpteur Frémiet, mort en 1910 et connu pour son Gorille enlevant une femme, « chef-d’œuvre tragique où l’on ne sait quoi plus admirer ou de la puissante musculature de l’horrible bête ou de la grâce pâmée de la belle victime aux chairs souples et palpitantes » (mais il est vrai que peu auparavant, Bacchus avait montré une bataille du héros contre des singes et que, question belles pâmées et palpitantes, Massenet s’y connaissait un peu).
Ces « autres écrits » représentent 80 pages du volume publié chez Vrin, Mes Souvenirs en occupant 150, elles-mêmes précédées de 50 pages de « Prolégomènes ». Bien sûr, Jean-Christophe Branger rend hommage à Gérard Condé, qui l’a précédé dans cette entreprise, puisqu’on lui doit une première édition critique de l’ouvrage en 1992, aux éditions Plume. Il s’agit de « prolonger ce travail en rassemblant et présentant l’ensemble des écrits de Massenet, d’autant que le statut de certains d’entre eux se trouve désormais considérablement modifié en raison de l’apparition de nouvelles sources ». Universitaire à qui rien de ce qui concerne Massenet n’est étranger, Jean-Christophe Branger expose les raisons qui le poussent à contester la version diffusée par les descendants du compositeur, selon lesquels Mes Souvenirs aurait au mieux été dicté à un journaliste. Il apparaît en effet que si le Stéphanois a pu être aidé dans la mise au propre de son texte, il en serait néanmoins bel et bien l’auteur, ainsi que l’attestent divers documents récemment passés en salle des ventes. L’absence de manuscrit autographe complet n’empêche pas de comparer les différents états du texte : quatre chapitres manuscrits, la version publiée dans L’Echo de Paris fin 1911, et le volume publié chez Lafitte l’année suivante.
Les notes érudites, présentées en bas de page, apportent un contrepoint précieux au discours de Massenet, souvent en délicatesse avec la réalité historique (le compositeur devait mourir peu après et n’était pas en pleine possession de ses moyens). En 2011, dans l’interview qu’il nous avait accordée, Jean-Christophe Branger annonçait déjà se projet de nouvelle édition critique, qui voit aujourd’hui le jour, et il formulait un autre vœu : « J’aimerais écrire un jour une biographie de Massenet, mais cela me prendrait énormément de temps ». Souhaitons donc qu’il ait énormément de temps à consacrer à cette entreprise, car nul doute qu’elle déboucherait sur le grand livre que mérite l’auteur de Werther.