Evidemment, quand on a le son et pas l’image, il faut peut-être mettre les points sur les i pour que l’auditeur suive l’action d’une opérette radiodiffusée. Est-ce la peur des malentendus qui, en 1958, poussa les responsables de la Radiodiffusion-télévision française à faire subir à Mesdames de la Halle une « normalisation » un tantinet abusive ? Commençons par rappeler que dans cet opéra-bouffe en un acte, créé aux Bouffes-Parisiens en mars 1858, Offenbach avait fait le choix de confier le rôle des trois marchandes à trois piliers masculins de sa troupe : Madame Poiretapée au ténor Léonce, futur créateur d’Aristée dans Orphée aux enfers, Madame Madou au baryton Désiré, qui serait Jupiter quelques mois plus tard, et Madame Beurrefondu au baryton Mesmacre. Par ailleurs, reprenant le principe du travesti de Chérubin, le jeune marmiton Croûte-au-pot était interprété par Lise Tautin, future Eurydice dans Orphée. Hélas, soit désir de clarifier les choses, soit volonté de faire se superposer sexe des personnages et sexe des chanteurs, la RTF décida de distribuer trois femmes dans le rôle des marchandes et un homme dans celui du marmiton. Rarement le mépris des intentions du compositeur aura été plus affiché, alors que l’intention était sans doute de célébrer le centenaire de la première œuvre ambitieuse d’Offenbach, avec chœur et distribution à plusieurs personnages, où la musique parodie Meyerbeer comme le livret pastiche l’abbé Delille (« O Nature, j’admire tes travaux… »).
Résultat : malgré tout le talent des mesdames Gabrielle Ristori, Deva Dassy et Marcelle Sansonetti, excellentes dans les dialogues parlés, ce qu’on entend n’a qu’un lointain rapport avec ce qu’a écrit Offenbach. Tout l’équilibre des voix est mis sens dessus dessous. Et mieux vaut ne rien dire de Joseph Peyron qui ridiculise Croûte-au-Pot, alors qu’il a pour partenaire la plus délicieuse Ciboulette qui soit en la personne de l’enchanteresse Claudine Collart, l’entrelacement des deux voix de femmes se changeant en banal duo d’une soprano avec un ténor aux intonations faubouriennes. Gaston Rey, plus acteur que chanteur, prête sa forte personnalité au major Raflafla mais il n’est pas défendu de penser qu’un vrai ténor aurait été préférable. On en restera donc à la version dirigée en 1988 pour EMI par Manuel Rosenthal, où Jean-Philippe Lafont, Michel Trempont et Michel Hamel restituaient aux trois dames leur véritable identité, même si Croûte-au-Pot restait hélas ténor.
Quant au complément de programme, la très rare Bagatelle, œuvre tardive (1874), il ne s’agit que d’extraits, et le son y est curieusement étouffé. Pendant l’ouverture et pour certaines plages, l’orchestre, comme réduit à un limonaire, semble venir de très loin. Les voix sont plus présentes, heureusement, et tout aussi curieusement, on a cette fois respecté le travesti du rôle du jeune Georges, confié à Janine Capderou, qui donne la réplique à l’irremplaçable Lina Dachary, sur les épaules de qui reposèrent tant de concerts de cette série. Dans l’absolu, le respect des tessitures rendrait cette version préférable à celle où le même Marcel Cariven dirigeait en 1973 Michel Hamel et Claudine Collart, mais l’absence de dialogue et l’étrangeté de la qualité sonore ont de quoi faire hésiter.