Le texte de présentation de ce nouveau disque consacré à la musique sacrée d’Anton Bruckner, rappelle que Philippe Herreweghe, qui a enregistré des versions remarquées des symphonies 4 et 7 du compositeur, s’est également toujours intéressé de très près à la production religieuse de ce dernier, dont on sait combien la foi était profonde. Le chef belge a d’ailleurs déjà enregistré la Messe en mi mineur – la deuxième – voici plus de 30 ans avec le même ensemble choral, le Collegium Vocale, mais avec l’ensemble Musique oblique.
C’est cette fois avec son Orchestre des Champs-Elysées et pour le label Phi dont il est le directeur artistique chez Outhere Music, qu’il nous offre une nouvelle lecture de la messe en mi mineur ; et qu’il propose – 8 ans après avoir réalisé l’enregistrement – sa toute première gravure du monumental Te Deum, créé dans sa version définitive avec orchestre en 1886.
Nouvelle lecture signifie-t-elle lecture renouvelée ? Interprétée dans sa version de 1882 (Bruckner, éternel insatisfait de ses partitions, l’avait déjà revue deux fois, et la reprendra encore en 1885), la Messe, à l’accompagnement orchestral limité aux vents, en dehors des flûtes, nous apparaît dans la splendide lumière polyphonique recherchée par le compositeur, ici inspiré tout à la fois par les maîtres de la renaissance italienne, par les chants grégoriens et par l’héritage baroque. Comme dans son premier enregistrement et conformément à ses précédentes incursions chez le maître de Saint-Florian, il n’y a rien d’étonnant à ce que Philippe Herreweghe penche de ce côté plutôt que vers une relecture plus grandiose – d’aucuns diraient plus « brucknérienne » – d’une œuvre sur laquelle le compositeur a tant hésité. Plus allant dans ses tempi qu’en 1989, Herreweghe bénéficie toujours d’un chœur de premier ordre, qui s’inscrit sans peine et avec délicatesse dans le style voulu, et de musiciens sur instruments d’époque bien mis en valeur (écoutez les cuivres dans le Gloria par exemple). La réalisation d’ensemble, qui paraîtra moins révolutionnaire que la précédente, alors présentée après des décennies d’interprétation plus volontiers romantique de cette œuvre, n’en reste pas moins splendide et véritablement baignée de lumière.
Enregistré il y a 8 ans à Lucerne, mais publié seulement aujourd’hui, le Te Deum interpelle davantage. Peut-on prendre dans cette partition monumentale, l’une des seules qui valut à son auteur un authentique triomphe de son vivant, un parti similaire qu’avec une messe inscrite dans une tradition polyphoniste, épurée et recueillie ? Ce choix est hardi, malgré sa cohérence avec le souci constant du chef « d’alléger » une musique jugée boursoufflée par ses détracteurs, afin de mieux en dessiner la structure. L’effectif orchestral apparaît de fait réduit, l’effet de masse s’en ressent, tout en mettant en valeur le chœur, toujours excellent. Pourtant, l’œuvre n’en ressort pas pour autant « décharnée » car c’est ici l’élan davantage que la masse qui crée le souffle. Plus rapide qu’un Jochum dans sa version pour Deutsche Grammophon ou qu’un Haitink chez Philips, Herreweghe distille en effet une incontestable énergie aux musiciens. Sans doute peut-on lui reprocher de négliger le fait que Bruckner a écrit cette partition en même temps que la non moins riche 7ème symphonie et que, pour une fois, il ne l’a pas révisée. Il était donc assez sûr de ses choix et de l’effet qu’il attendait d’une œuvre dédiée « à la plus grande gloire de Dieu » et qu’on n’imagine donc pas édulcorée. Pour autant, il serait injuste de ne pas reconnaître l’intérêt de cette lecture, dont la clarté n’atténue pas la puissance, et qui, bien qu’elle ne soit pas vraiment dans l’esprit, ne dessert pas l’œuvre pour autant. Elle l’éclaire d’une lumière plus froide, moins solennelle peut-être, mais certainement pas terne.
Il faut également souligner que Philippe Herreweghe est entouré de bons solistes, parfaitement homogènes comme on peut l’entendre dans la partie finale, avec une mention spéciale pour la soprano Hanna-Elisabeth Müller et le ténor Maximilian Schmitt, particulièrement mis en valeur. En dépit de ses partis pris qui pourront rebuter les brucknériens attachés à une autre tradition interprétative, ce disque est une grande réussite et mérite vraiment qu’on s’y attarde, malgré un minutage hélas beaucoup trop chiche, à peine 51′, ce qui est franchement regrettable. L’ajout de quelques motets, qui eussent été eux aussi les miroirs de ceux enregistrés en 1989 avec la Messe en mi, n’aurait pas nui à la curiosité de l’auditeur…