Il y a belle lurette que Le Messie n’est plus interprété comme au XIXe siècle, où l’on se plaisait, notamment en Grande-Bretagne, à rassembler des effectifs toujours plus pléthoriques pour remplir des salles de concert toujours plus gigantesques. Revenir à un nombre de chanteurs plus en accord avec les conditions d’exécution que Haendel avait lui-même pu connaître semblait tout simplement raisonnable : pour le chœur, 16 voix d’hommes et 16 voix d’enfants, et pour les solistes une soprano, une contralto, un ténor et une basse. Mais le raisonnable a bientôt cessé d’être suffisant, et voici qu’un enregistrement propose d’aller plus loin dans la voie du dépouillement : treize chanteurs en tout, soit le chœur plus la soprano solo. Et comme l’heure est désormais aux contre-ténors, il en faut un pour succéder à Susannah Cibber, qui avait pourtant prêté à la création de l’œuvre une voix certes grave mais féminine. Pour ce faire, la claveciniste, organiste et chef Daniela Dolci s’appuie pour justifier ses options sur « les principes de la rhétorique dans la musique baroque » et sur divers traités consacrés au XVIIIe siècle à l’art du chant. Avec moins de vingt instrumentistes, l’orchestre Musica Fiorita sonne comme une formation de chambre, donnant l’illusion que ce Messie intimiste est donné dans un salon plutôt que dans un lieu public (à la création en 1742, il y avait quand même 700 personnes dans l’assistance).
Si l’on admet l’expérience de cette version plus royaliste que le roi, on découvre un résultat incontestablement surprenant, surtout pour le chœur. Trois voix par pupitre, c’est vraiment peu : quand les ténors et les basses chantent ensemble, on a l’impression d’entendre deux solistes dialoguer. Cet allègement considérable de la matière sonore, qui a pu produire des effets intéressant dans l’interprétation de la musique de Bach, permet bien sûr une précision et une vélocité inhabituelles dans certains passages (comme « All we like sheep »), mais prive également de puissance les moments où plus de force serait bienvenue : l’Halleluia en paraît bien tiède.
Des quatre solistes, on dira qu’ils ne dégagent pas tous l’émotion qu’on aurait aimerait trouver. Malgré son nom, la soprano Mariam Feuersinger ne brille pas par le feu de son chant, mais au contraire par la froideur de son timbre opaque. Le contre-ténor Flavio Ferri-Benedetti réussit un « He was despised » assez digne, mais certaines de ses exclamations glapissantes sont assez ridicules (notamment dans « O death, where is thy sting ? »). Le ténor Dino Lüthy est sans doute le plus conforme aux attentes pour cette partition, même s’il observe une prudente neutralité. S’il maîtrise les graves nécessaires, Raitis Grigalis n’a rien de la basse accoutumée, mais il compense la clarté de son timbre par une faculté de colorer sa voix et par son articulation presque trop expressive (voir « And they that dwell in the land of the shadow of death »).
Un Messie expérimental, donc, et à ne pas mettre en toutes les oreilles.