Plus que tout autre label, Alpha a pour ses disques le souci de choisir une iconographie faisant écho à la partition qu’il entend mettre en valeur. Ici, la toile choisie, due à Orazio Gentileschi*,, est strictement contemporaine de la partition de Domenico Mazzocchi ** . L’on y observe avec justesse que la clarté de son exposition, la didactique de sa mise en scène sont héritières en droite ligne du Caravage. D’après le livret, ces caractéristiques seraient à mettre en parallèle avec la réforme de l’opéra à Rome qu’initie La Catena d’Adone, réforme qui aurait brisé la monotonie florentine du récitatif pour le faire entrer de plain-pied dans le bain du drame baroque. Mais à dire vrai, nous n’avons pas trouvé dans cet enregistrement la vie et l’urgence renouvelées que nous promettaient à la fois jaquette et livret. La raison en est sans doute multiple.
D’abord notre réticence à n’appréhender ces œuvres « primitives » que par l’oreille, alors que l’œil, et à travers lui l’esprit seraient dix fois plus stimulés par une version scénique. Par elle, le verbe épouse nécessairement le geste, tandis que la lecture cursive d’un livret trilingue fausse le jeu et sans doute aussi l’écoute. Pour preuve, le choc critique que fut le Sant’Alessio de Landi remonté par William Christie, opéra romain de cinq ans le cadet de notre Catena. De même pour la redécouverte de l’opéra vénitien, Cavalli en tête. Qui se satisferait encore aujourd’hui de les aborder seulement au disque ?
Peine également nous a été donnée de voir dans cette œuvre la véritable pierre de touche stylistique annoncée, si ce n’est son pedigree de premier opéra romain. Alors oui, on approche de l’aria (ce sont des mezz’arie nous dit-on), on touche du doigt l’ébauche d’un ensemble, on apprécie telle nuance ou dissonances nouvelles. Mais l’impression d’ensemble est davantage celle d’un crépuscule que d’une aurore, comme disait Claude. Le tout baigne encore très profondément dans ce recitar cantando venant du fond de la Renaissance, admirable mélodie mélancolique, pourtant encore loin de ce qui arrivera ne serait-ce que vingt ans plus tard ailleurs en Italie. Un trait d’union sans doute, en tout cas – à nos yeux profanes – pas une pièce maîtresse.
La troupe réunie met beaucoup d’ardeur dans ce travail de longue haleine qu’est la regravure d’un opéra oublié. Le tout jeune Nicolas Achten y va de tous ses talents : luthiste, harpiste, claveciniste, chef, chanteur même ! Son ensemble Scherzi Musicali accompagne avec attention, mais trop mollement et sans doute se perdant un peu trop dans le détail, un ensemble de solistes que l’on sent complices, mais pas forcément du niveau que l’on aurait souhaité pour une telle entreprise. Le rôle titre est habité avec émotion par le ténor Reinoud van Mechelen, remarquable de sensibilité et de diction. A noter également au dessus du lot la Falsirena de Luciana Mancini, grave et solaire. Ces deux-là nous donnent à vivre les vrais beaux moments de ce disque. Sans douter aurions-nous pris nos billets pour les entendre et les voir sur scène : Athénée, Favart, Bouffes du Nord ou même TCE, à vous !
* dont le nom sera porté plus notoirement par sa fille, Artemisia Gentileschi, première grande peintre baroque.
** partageant lui aussi son patronyme avec son compositeur de frère, Virgilio Mazzocchi. Il est l’auteur de l’Egisto présenté en octobre dernier à l’Athénée (voir recension de Bernard Schreuders).