L’œuvre phare de cet enregistrement est présentée comme un « requiem inédit, chaînon manquant de la tradition franco-flamande », mouvement musical qui s’étend sur un peu plus de deux siècles, et dont les compositeurs ont effectivement excellé dans l’écriture de messes de requiem, répondant à la science et à la pureté de leur technique par l’humilité face à la mort, la douleur de la perte, la conscience de l’éternité et de son mystère. Pensons à ceux d’Ockeghem, Brumel, Lassus.
Paul Van Nevel nous invite donc à une découverte avec cette messe de Simone de Bonnefont. A la lecture du livret, le chef situe de manière très clair les enjeux de cette œuvre, à commencer par la raison pour laquelle ces pages n’ont pas été découvertes plus tôt ; compositeur provincial, chanoine et chantre de la cathédrale de Clermont-Ferrand, de Bonnefont ne bénéficiera pas de la même postérité que les artistes ayant travaillé à la cour des Rois de France. Etat de fait qui ne se limite pas au 16ème siècle comme en témoigne la toute récente découverte des Messes de Jehan Titelouze (1563-1633), chanoine de la Cathédrale de Rouen, connu pour ses œuvres d’orgue mais dont la musique vocale était considérée comme perdue, tout comme doit l’être encore nombre de partitions composés pour les grandes cathédrales du Royaume par des compositeurs majeurs, mais ignorés de ce même Royaume. Peut-être aurions-nous raté Rameau si lui-même était resté à Clermont-Ferrand…
Avec beaucoup de soin, Paul Van Nevel évoque les qualités de cette partition, ce qui la relie à la tradition franco-flamande mais aussi ce qui l’en différencie, tâche essentielle pour goûter les particularismes de certains compositeurs de ce courant qui se caractérisait plus par la communauté, ou plutôt l’universalité du langage musicale que par la recherche d’une expression individuelle.
Et à l’écoute force de constater que le chef s’engage pour cette œuvre à juste titre. La richesse de la polyphonie à 5 voix offre au texte liturgique un vêtement ample et lumineux. Cette lumière est celle de l’inspiration de Simone de Bonnefont, sa maîtrise des usages de la polyphonie est effectivement sans faille mais la hauteur de son inspiration ajoute un supplément d’âme à cette messe qui pleure effectivement les défunts mais offre tout autant le réconfort de la Paix éternelle. La relation du musicien au mot est à ce titre d’une grande puissance, l’illustration la plus éloquente étant le bouleversant Agnus Dei au travers duquel le compositeur préfère traduire le don paisible plutôt que la contrition du croyant à l’évocation de l’Agneau. La puissance de ce lien entre musique et texte est constant mais souvent caché dans l’entremêlement des lignes, nous ne saurions trop recommander une écoute avec texte en mains et dans un calme absolu !
En complément, Paul Van Nevel et ses chanteurs proposent un assortiment de compositions sur le très beau texte « Media in vita in morte sumus » dont une en allemand signé Arnold von Bruck, contemporain de Simone de Bonnefont tout comme Nicolas Gombert, Jacobus de Kerle et Roland de Lassus étant plus tardifs. Ce complément permet avec beaucoup d’intelligence d’apprécier le requiem et finit de nous convaincre de la chance que nous avons de découvrir cette œuvre qui s’impose véritablement comme un chaînon manquant.
La lecture des Huelgas et la direction de Paul Van Nevel est un émerveillement, et notons qu’il s’agit d’une captation en concert. La clarté de l’ensemble tout autant que l’engagement de chaque chanteur à apporter un sentiment de foi à cette voute polyphonique confère à cette heure de musique une véritable atmosphère d’élévation.
Ajoutant à cela « La Montée des bien-heureux vers l’empyrée » scène des « Visions de l’au-delà » de Jérôme Bosch comme couverture du disque, la réussite est totale.