Alors qu’en France et en Belgique on s’apprête à accorder enfin aux opéras de Rachmaninov l’intérêt qu’ils méritent (voir notre brève), le label Ondine nous donne l’occasion de découvrir l’ultime tentative du compositeur dans le domaine lyrique, tentative avortée, hélas. Alors installé à Dresde, Rachmaninov venait de découvrir la Salomé de Strauss dans la ville où cette œuvre avait été créée. Dans Monna Vanna, pièce de Maeterlinck créé en 1902, Rachmaninov avait sans doute trouvé le cocktail d’amour et de mort susceptible d’égaler ce que le texte de Wilde avait de sulfureux. Le travail de composition fut donc entrepris en 1907, mais bientôt abandonné lorsqu’il apprit que Maeterlinck avait cédé les droits à Henry Février, dont l’opéra Monna Vanna fut créé à Paris en 1909 et connut un succès planétaire au cours de la décennie suivante (voir notre article sur ce compositeur). Avec trente-huit minutes pour ce premier acte, Monna Vanna aurait pu être un opéra d’une durée comparable à Salomé que Rachmaninov admirait tant. Et il n’est pas interdit de trouver des parallèles entre la musique de Strauss et celle qu’on entend ici, même s’il est difficile de déterminer la part que tient dans cette impression l’orchestration réalisée par Gennadi Belov (Rachmaninov n’a composé qu’un piano chant ; une première orchestration, due à Igor Bouketoff, fut créée à New York en 1984). Indubitablement, cette partition à laquelle le compositeur était très attaché (la seule importante qu’il emporte dans son exil aux Etats-Unis en 1917) laisse entrevoir de nouvelles orientations et des avancées considérables par rapport à Francesca da Rimini, créé en 1906, notamment une rupture avec le principe du grand air dont Henry Février ne s’était pas, lui, affranchi ; on peut sur ce plan comparer le traitement que le Russe et le Français réservent au monologue de Guido « Ce n’est pas un vieillard ».
Evidemment, puisque l’intrigue s’arrête à l’acte I, il manque le héros. Pas de Prinzivalle, donc. Et l’héroïne même n’a ici guère à chanter : ses réponses à son époux se bornant le plus souvent à une phrase, voire deux. Le personnage qu’on entend le plus est donc Guido, confié à un baryton héroïque, dans une tessiture tendue, avec force aigus tenus. Vladimir Avtomonov se tire plutôt bien de ce rôle éprouvant. Et selon une tradition russe, le rôle du vieillard Marco est confié non pas à une basse comme chez Henry Février, mais à un ténor, ce qui convient bien à ce personnage certes âgé, mais poète lettré, esthète rêveur. Dmitri Ivantcheï n’a pas un timbre spécialement attrayant, mais ce n’est pas ici gênant comme ce le serait chez un jeune premier, et l’acteur passe ici avant tout. L’orchestre, très présent et aux couleurs souvent envoûtantes, est conduit par Vladimir Ashkenazy de manière à ne jamais couvrir les jeunes voix du Conservatoire de Moscou
En guise de complément de programme, et d’argument supplémentaire pour attirer l’acheteur, on a ajouté à Monna Vanna quelques-unes des 80 mélodies de Rachmaninov, interprétées par une star du monde lyrique : Soïle Isokoski. Comme l’opéra, la mélodie est un genre auquel le compositeur n’a plus touché après son exil loin de la Russie, et toute sa production dans ce domaine fut publiée entre 1902 et 1916. Le choix s’est porté sur certaines des plus connues : l’inévitable Vocalise, « Les Lilas », ou « L’Attrapeur de rats », dans une veine plus populaire. Pas de découverte renversante en perspective, mais le plaisir toujours renouvelé d’entendre la voix toujours suave de la soprano finlandaise, sans que ces quelques minutes de musique n’ajoutent grand-chose à sa gloire.