Z mrtvého domu ou De la maison des morts est l’œuvre que l’on retrouva sur le bureau de Leoš Janáček après son décès (le troisième acte). Qu’il n’ait pu donner à l’opéra sa forme définitive (bien que des versions « intermédiaires » ait été établies par des copistes quelques mois avant sa mort), ni compléter son orchestration en fait une œuvre problématique aux yeux des musicologues et des metteurs en scène. La forme même de la pièce, composée de longs monologues, la rend encore plus disparate et complexe en matière de scénographie.
« En chaque créature brille une étincelle divine ». Tels sont les mots griffonnés par le compositeur sur la première page du manuscrit de l’œuvre. Le synopsis et son message, repris de Dostoïevski prônent la compassion et le pardon. La trame de l’opéra est constituée par des récits de prisonniers et Janáček y déploie une science plus qu’impressionnante du monologue, utilisant une infinie palette d’émotions. L’oeuvre est sublime, poignante mais ne se contente pas d’évoquer les réalités les plus tragiques de la vie. Elle tend vers un idéal supérieur. C’est probablement là que réside le message d’espoir de ce chef d’œuvre sur lequel plane constamment l’ombre de la mort.
Lorsque l’on pense aux opéras de Janáček, on pense naturellement à Charles Mackerras, champion toutes catégories d’un musique pourtant bien éloignée de sa culture d’origine. Lorsque l’on pense à Z mrtvého domu on se rappelle de la récente production digne de tous les superlatifs du tandem Chéreau-Boulez (DVD chez DGG). Mais cet enregistrement, capté en 1964 et édité pour la première fois en CD, est également légendaire. Le plateau vocal, qui réunit ce qui se faisait de mieux au Théâtre National de Prague à l’époque, est formidable tant individuellement que collectivement. Bien que l’histoire soit « déclenchée » par l’emprisonnement d’un jeune noble, ce personnage ne peut pas être considéré, sur le plan vocal, comme le personnage principal. En réalité, l’œuvre n’en comporte pas ; d’où l’importance de la collectivité.
L’orchestre n’a ni les couleurs ni la perfection de la Philharmonie Tchèque, mais la direction de Bohumil Gregor est exemplaire en cela qu’elle capte l’essence de la musique, sans qu’aucun accent inutile ne vienne troubler le flux musical tendu. Le secret de la musique tchèque réside dans cette quête de l’essentiel et Gregor, comme la plupart de ses compatriotes, l’a parfaitement compris. Une belle leçon de musicalité et de vie. Frisson garanti.
Nicolas Derny