Des trios de voix d’homme, on en entend parfois dans les tragédies lyriques françaises, mais dans des situations extrêmes : extrême de la suavité pour le sommeil d’Atys, par exemple, où Morphée, Phobétor et Phantase unissent leurs voix pour mieux bercer le héros et lui transmettre dans son sommeil le message de Cybèle ; extrême du terrible, traduit jusqu’à la discordance par l’écart des trois voix dissonantes pour le célébrissime trio des Parques dans Hippolyte et Aricie. On pense inévitablement à ces exemples lorsqu’on découvre le disque Clérambault dirigé par Fabien Armengaud puisqu’il réunit précisément des motets à trois voix d’hommes. Dans ces pièces religieuses, le ton est assez souvent serein, et donc plutôt du côté suave (on songe par exemple au « Et misericordia » du Magnificat), mais il arrive aussi que le trio s’énerve et vitupère avec véhémence, comme dans « Impia turcarum gens », du Motet pour la canonisation de saint Pie, où l’oreille est surtout frappée par la répétition du mot jam, « déjà » en latin, d’autant plus marquant ici qu’il est, bien entendu, prononcé à la française, avec une première consonne forte.
De la musique vocale de Clérambault, le disque avait jusqu’ici surtout révélé le côté profane, avec quelques cantates, à commencer par « Le Soleil, vainqueur des nuages », magnifiquement interprété jadis par Mireille Delunsch avec les Musiciens du Louvre et Marc Minkowski, ou la pastole Le Triomphe d’Iris, par le Concert Spirituel sous la direction d’Hervé Niquet. Pour le côté sacré, on disposait des Motets pour Saint-Sulpice par Gérard Lesne et des Motets pour le calendrier de l’Eglise par les Demoiselles de Saint-Cyr, et c’était à peu près tout. Indifférence étonnante à l’heure où tout ce qui peut porter l’étiquette « baroque » est recréé à tour de bras, et que ne justifie nullement la qualité de la musique de Clérambault. Autant dire que ce disque est le bienvenu pour enrichir une discographie peu épaisse.
L’Ensemble Sébastien de Brossard apporte avec élégance et rigueur le soutien nécessaire aux trois voix masculines qui sont bien sûr au premier plan de ces pièces. Quant au trio vocal, il faut d’abord mentionner la surprise extrême que cause la voix de Jean-François Novelli : ce ténor associe curieusement la virtuosité nécessaire dans ce répertoire à une voix quasi « naturelle » qu’on s’attendrait davantage à entendre dans de la musique traditionnelle et populaire. Ses deux confrères sonnent, eux, de manière beaucoup plus « lyrique », mais les trois timbres finissent par s’unir sans heurts. Cyril Auvity surplombe le tout de sa voix de haute-contre toujours parfaitement adéquate dans cette musique, tandis qu’Alain Buet afffirme une fois encore son indispensable présence et sa totale maîtrise stylistique. Par leur expressivité jamais prise en défaut, ces trois interprètes rende parfaitement justice à la musique de Clérambault, dont on espère que la redécouverte progressera à grands pas dans les années à venir.