Quand on s’appelle Rolando Villazón, on ne pas disparaître du marché du disque. On ne peut pas décevoir ses fans en renonçant à enregistrer. Et Deutsche Grammophon sait que le ténor franco-mexicain a toujours des admirateurs à combler. Depuis les problèmes de santé qu’il a connus, Villazón a réussi à faire son retour envers et contre tous, au prix d’un léger aménagement de son répertoire : adieu les Don Carlos et autres rôles peut-être prématurément abordés, le régime quotidien de Rolando a désormais pour nom Mozart. Il suffit de jeter un coup d’œil à l’agenda du chanteur pour s’en apercevoir. Les opéras du XIXe siècle se font de plus en plus rares, remplacés par les Don Giovanni et autres Lucio Silla. Et comme Wolfgang était Amadeus, aimé de Dieu, Rolando est aimé des humains qui sont prêts à lui pardonner beaucoup de choses à condition de le voir et de l’entendre. Donc, après avoir participé au deux premières intégrales mozartiennes dirigées par Yannick Nézet-Séguin pour DG, Rolando revient en solo avec un disque Mozart, et on a eu la bonne idée de lui faire enregistrer l’intégrale des airs de concert pour ténor. Ne cherchez pas, tout est là, il n’y a rien d’autre, car autant Wolfgang en écrivit des quantités pour soprano, autant il se montra plus parcimonieux pour les ténors et pour les basses. Tout tient donc sur un CD, à peine plus d’une heure de musique.
Et tous ces airs sont antérieurs à la composition des Noces de Figaro. Le livret d’accompagnement livre quelques informations, mais qu’il n’est pas mauvais de compléter un peu ici. Les plus anciens datent de 1765 – Mozart avait neuf ans – et 1766 ; à titre de comparaison, son premier opéra, Apollo et Hyacinthus, date de 1767. Viennent ensuite des airs conçus autour de 1775, l’année de La finta giardiniera : deux airs comiques pour L’Astratto, ovvero il giocatore fortunato de Piccinni, et plus précisément pour le ténor Antonio Palmini. En 1778, « Se al labbro mio non credi », air d’insertion pour Artaserse (celui de Hasse, pas de Vinci), est destiné à Anton Raaff (1714-1797), futur créateur du rôle d’Idoménée, à 67 ans, ténor brillant au sujet duquel Mozart avait écrit l’année précédente : « J’imagine ce qui était sa force, la bravura qu’on continue à sentir chez lui, autant que son âge lui permette ; une bonne poitrine et un long souffle. Sa voix est belle et très agréable. Pour ce qui est de la bravura, des passages et roulades, là, Raaff est le maître – et puis, sa bonne prononciation, très claire – , c’est beau ». 1781 est l’année d’Idomeneo, premier opéra de la maturité, suivi en 1782 par L’Enlèvement au sérail. C’est justement pour le créateur de Belmonte, Johann Valentin Adamberger (1743-1785), que sont écrits en 1783 les airs « Per pietà, non ricercate » et « Misero… Aura che intorno spiri » ; Adamberger chantera également dans Davidde penitente et sera Vogelsanger dans Le Directeur de théâtre. Parmi ces airs de concert se glisse un intrus, « Dove mai trovar quel ciglio », l’un des numéros de Lo sposo deluso, projet auquel Mozart renonça très vite ; détail amusant, l’air fut écrit pour Francesco Bussani (1743-1807), qui était encore ténor en 1784 mais devint basse en 1785 ! Il fut ainsi le créateur de Bartolo/Antonio et de Don Alfonso, et chanta le Commandeur et Masetto pour la première viennoise de Don Giovanni. En 1785, Da Ponte proposa à Mozart le livret des Noces de Figaro, mettant un terme à sa production d’airs de concert pour ténors.
Si le disque ne respecte pas l’ordre chronologique, il y a à cela une raison assez simple. « Va, dal furor portata », composé en 1765, met le ténor à rude épreuve, car l’air est peut-être le plus virtuose de tout le programme, et il met en relief les failles techniques de Rolando Villazón. Le trille n’est vraiment pas son affaire, et dans les vocalises, certaines notes semblent émises de façon très étrange (quant aux extraits de Così et de Don Giovanni figurant sur le deuxième disque, ils suscitent plus de questions que de réponses : 47 minutes, c’est peu, alors pourquoi ne pas avoir inclus « Un aura amorosa » ou « Il mio tesoro » ? Pas assez présentables, peut-être ?) Heureusement, d’autres airs de concert montrent le ténor bien plus à son avantage, dans le registre de la douceur (tout s’arrange dès qu’il n’a pas à forcer) comme dans le dramatisme pré-romantique de « Müsst ich auch durch… » Et comme on pouvait s’y attendre, Rolando s’amuse beaucoup dans les airs comiques, concluant par un gloussement le « Con ossequio », comme d’autres éclatent de rire à la fin de l’air du Champagne. Même s’il n’a plus la voix qu’il eut, Villazón n’a rien perdu de ses talents d’acteur, ici particulièrement précieux. Enfin, par-delà les reproches qu’on pourra formuler ici et là (des aigus toujours un peu tendus, notamment), l’intérêt de ce disque est de nous donner à entendre un Mozart latin, dans un domaine où l’on connaît guère que l’interprétation de ténors germaniques : certes, Alfredo Kraus et Juan Diego Florez ont chanté « Aura che intorno spiri », mais leur timbre est tout autre, et ce sont les exceptions qui confirment la règle. Les airs de concert pour ténor ont surtout été chantés par les Fritz Wunderlich, Christoph Prégardien, et autres Gösta Winbergh, et même le grand Leopold Simoneau n’était pas un modèle d’italianità. On prêtera donc une oreille plus qu’attentive à ce Mozart-là, qui rompt agréablement avec nos habitudes, d’autant que le LSO dirigé par Antonio Pappano lui offre le plus luxueux des écrins.