Le mozartien est toujours heureux d’accueillir un nouvel album d’airs de concert pour ténor. C’est que, en dehors de Christophe Prégardien et de Rolando Villazon, qui commencent tous deux à dater, la discographie est famélique. Surtout si on la compare à celle des airs pour soprano, riche d’innombrables merveilles. La plupart de ces airs sont des œuvres de prime jeunesse, et ils ne peuvent rivaliser avec les grands chefs-d’œuvre de la maturité. Un Mozart de 9 ans (!) est bien sûr encore tributaire des conventions de son époque dans « Va, dal furor portata », mais cette musique s’écoute avec un plaisir constant, le jeune compositeur connaissant déjà toutes les ficelles de l’écriture vocale. Il en va de même pour la plupart des airs réunis ici. Seuls « Misero ! O sogno » et « Per pieta, non ricercate » appartiennent à la période viennoise, et révèlent un traitement de la voix plus lyrique, proche de ce que seront Don Ottavio, Ferrando ou Tamino.
Le problème de ce disque saute aux oreilles dès les premières mesures. Il s’agit de l’écart entre le style de l’orchestre et celui du chanteur. A Nocte Temporis joue selon les critères les plus stricts du courant « historiquement informé » : effectif microscopique (sept violons, deux violoncelles, et le reste est à l’avenant), bannissement du vibrato, recours aux cuivres naturels, transparence des lignes. Tout cela est bel et bon. Si ce n’est que Reinoud van Mechelen propose lui une lecture toute en sensualité. Les adjectifs manquent pour qualifier cette voix qui semble capable de toutes les beautés possibles. Que ce soit dans l’aigu, le médium ou le grave, tout est parfaitement galbé, les coutures sont invisibles, et le ténor passe d’un registre à l’autre avec une aisance qui laisse pantois. Il faut ajouter à ces moyens un souffle travaillé avec beaucoup de soin, qui permet de phraser avec une délicatesse d’orfèvre. Mais à quoi sert-il d’ourler de si sublimes fin de ligne dans l’adagio de « Se al labbro mio non credI » si c’est pour que l’orchestre y apporte une réponse aussi prosaïque, avec un refus de phraser qui confine au contresens. Ailleurs, dans les passages rapides, la cascade de vocalises glorieuses de Reinoud Van Mechelen reçoit en réponse des notes débitées aux cordes sans la moindre imagination. On a souvent l’impression d’un oiseau multicolore qui se retrouve pris dans les pattes d’un troupeau de buffles lancés au grand galop. La superbe prise de son d’Aline Blondiau accentue le problème, en exposant parfaitement les intentions des uns et des autres. Pourtant, des musiciens comme René Jacobs ou Nikolaus Harnoncourt ont montré que le style d’interprétation sur instruments d’époque pouvait parfaitement se marier avec le souci de conduire une ligne musicale sur un temps plus long. La note est une moyenne entre la fantastique prestation du chanteur et l’accompagnement.