On imprimait jadis à Amsterdam les ouvrages d’écrivains français qui ne pouvaient ou ne voulaient pas publier dans leur pays natal. Ce n’est plus aujourd’hui la crainte de la censure ou de la prison qui pousse les auteurs à exporter leur production, mais la dure loi du marché. Le désir de toucher le plus large public inspire des parutions en langue anglaise, même de la part d’éditeurs non anglophones. Ainsi s’explique l’existence de Mozart, Applied Anthropology Inquest de notre compatriote Pierre-François Puech, que propose la maison d’édition Angelo Pontecorboli, installée à Florence. Même si rien de tel n’est indiqué dans les pages du volume, il s’agit de la traduction du livre qu’il avait fait paraître en 1993, et encore disponible, Mozart : une enquête hors du commun (Maison Rhodanienne). Peut-être l’auteur y aura-t-il apporté quelques modifications de détail, mais dans l’ensemble le texte est le même. Enfin, le même après un passage sous les fourches caudines d’un changement de langue dont on se demande à qui ou à quoi il a été confié. La traduction est attribuée est à un certain « John Dennison », qui semble avoir une connaissance assez imparfaite tant de l’anglais que de français. En effet, le texte est rédigé dans une langue approximative, qui réserve au lecteur quelques étonnements ou éclats de rire. On apprend ainsi que La Clémence de Titus relève d’un genre appelé « serial opera », comme il existe des serial killers. Un médecin range un couteau dans sa serviette de cuir, ici rendu par leather towel, autrement dit un essuie-main en peau de vache, qu’on imagine très commode pour contenir les objets (et surtout pour s’y frotter les parties du corps qu’on vient de laver). Calques grossiers et faux amis abondent, dont on donnera un dernier exemple : « He is not a child who has been told the story of the Requiem », parodie grotesque de la phrase « Il n’est pas un enfant à qui l’on n’ait conté l’histoire du Requiem ».
Si l’on parvient à faire abstraction de ces bourdes omniprésentes, on retrouve le récit assez passionnant que Pierre-François Puech proposait déjà au lendemain du bicentenaire de la mort de Mozart.
Le livre parle sans doute moins de musique que de science, mais le sous-titre le laisse assez deviner. Tout commence par un préambule assez fascinant où sont évoqués différents bustes posthumes du compositeur, notamment l’effigie de Mahler que Rodin baptisa Mozart, et où l’on reconnaît fort bien les traits de l’auteur des Kindertotenlieder, pour aboutir à l’étrange création reproduite en couverture, élaborée à partir du crâne conservé au Mozarteum de Salzbourg.
On entre dans le vif du sujet avec un rapide aperçu des derniers jours de Mozart, mais l’essentiel se déroule après son décès. C’est d’abord le récit détaillé de la prise d’empreinte pour la fabrication du masque mortuaire de Wolfgang. C’est ensuite l’histoire rocambolesque des fossoyeurs qui auraient marqué le squelette dans la fosse commune afin d’être capables par la suite de le retrouver : de là provient le crâne étudié au XIXe siècle par divers spécialistes (qui l’endommagèrent irrémédiablement), avec une intéressante digression sur les pratiques de l’époque en matière de collection – et de vol – de crânes d’hommes célèbres. Evidemment, on peut se demander si le crâne autour duquel tourne toute l’affaire est bien celui de Mozart : impossible d’en être sûr à 100%, mais les indices semblent concorder.
Vient enfin une véritable enquête médico-légale sur la mort d’Amadeus, où il est naturellement question des véritables causes de la mort du compositeur, et donc beaucoup de Salieri. La légende de l’empoisonnement vient du père des Danaïdes lui-même, qui s’en accusa sur le tard, et qui eut le succès que l’on sait, de Pouchkine à Milos Forman.
Outre la postface signée Yves Coppens, le volume se termine sur deux appendices : une étude sur le portrait de Mozart à 9 ans et demi par Zoffany, mis en rapport avec une radio céphalométrique de son crâne présumé ; une étude plus spécifiques de la dentition du crâne en question. Plusieurs illustrations viennent éclairer les conclusions formulées tout au long de l’ouvrage.