Composé par Mozart à l’âge de 11 ans, Le Devoir du Premier Commandement constitue la première partie d’un triptyque, dont les deux derniers opus, signés Michael Haydn et Anton Cajetan Adlgasser, sont malheureusement perdus. Ce charmant geistliches Singspiel, créé en 1767 au Palais de l’Archevêché de Salzbourg, et qui explore les thèmes de la dévotion et de l’éthique chrétienne, reste relativement rare au disque. Deux versions intéressantes peuvent être mentionnées : celle de Neville Marriner (1988), soignée mais manquant d’enthousiasme, et une interprétation sur instruments d’époque, un peu terne, dirigée par Ian Page (2013).
La version qui paraît aujourd’hui sous le label du Château de Versailles n’est, en toute exactitude, qu’une quasi-intégrale de l’œuvre. Il y manque en effet l’air « Jener Donnerworte Kraft » (Le Chrétien), rare exemple de composition mozartienne avec trombone solo, probablement omis pour faire tenir l’enregistrement sur un seul CD. De plus, les deux flûtes de « Schildre einen Philosophen » (L’Esprit du monde) ont été remplacées par des hautbois, altérant ainsi légèrement les douces couleurs de l’aria. Mais ne boudons pas pour autant notre plaisir !
Dès l’ouverture, merveilleusement contrastée et habitée, Camille Delaforge s’imprègne en effet pleinement de la verve juvénile de Mozart. Cette impression se confirme tout au long de l’enregistrement, notamment au travers de récitatifs toujours alertes et de dynamiques parfaitement maîtrisées. Loin de considérer cette musique comme secondaire, Camille Delaforge lui insuffle tout au contraire des accents frôlant parfois le Sturm und Drang, maintenant ainsi une intensité palpable tout au long de l’écoute. La légèreté et la vivacité ne sont pour autant pas en reste, notamment dans l’accompagnement des arias de l’Esprit du monde.
En tête d’une distribution remarquable, Gwendoline Blondeel incarne deux des cinq personnages de l’œuvre. En Justice divine, elle y fait preuve d’un bel investissement (section centrale de l’air « Erwache, fauler Knecht »). Le rôle de l’Esprit du monde permet à la soprano de montrer toute l’étendue de sa maîtrise technique. Dans « Hat der Schöpfer dieses Leben », elle séduit par des vocalises fluides et éclatantes, tandis qu’elle brille dans « Schildre einen Philosophen » par d’irrésistibles contre-notes piquées. Adèle Charvet incarne La Miséricorde, un rôle initialement créé par Maria Magdalena Lipp, l’épouse de Michael Haydn. La mezzo-soprano française interprète avec brio l’air « Ein egrimmter Löwe brüllet », alliant précision dans les coloratures et plénitude vocale sur toute la tessiture. En Esprit chrétien, le ténor Artavazd Sargsyan est également remarquable d’engagement, bien que sa voix se montre parfois un peu tendue dans l’aigu. Privé de son air, Jordan Mouaissia incarne un Chrétien habité dans les récitatifs du personnage.
L’excellence de ce disque tient également à la prestation renversante de l’Ensemble Il Caravaggio, qui s’empare avec brio d’une œuvre dont il réussit à faire ressortir toutes les potentialités. Les cordes sont d’une vigueur remarquable, tandis que les cors (Félix Roth, Alessandro Orlando), particulièrement sollicités dans cet opus, font preuve d’une grande précision, proposant une ornementation bienvenue dans l’introduction de l’air de La Miséricorde. Le clavecin de Guillaume Haldenwang, inventif dans le terzetto final et brillant dans les récitatifs, se révèle enfin un accompagnateur parfait.
Avec ces innombrables qualités, ce nouvel enregistrement s’impose clairement en tête de la discographie de l’œuvre. Au vu de cette réussite, on peut espérer une suite : et pourquoi pas une Finta semplice de Mozart, dont la première gravure sur instruments d’époque se fait toujours attendre ?