Après de passionnantes incursions dans les raretés de l’opéra comique français du XVIIIe siècle (Grétry, Duni), le chef Martin Wåhlberg propose une nouvelle lecture d’une œuvre bien plus célèbre. Cette Flûte, il l’a envisagée comme un pèlerinage, une exploration de sources encore peu exploitées. Au-delà de l’étude minutieuse du manuscrit d’orchestre – démarche déjà entreprise par de nombreux chefs avant lui –, Wåhlberg s’est appuyé sur du matériel d’orchestre (parties individuelles) datant probablement de quelques années après la première exécution de l’œuvre. Ces documents, en plus de précieuses indications sur l’interprétation (comme les traits d’archet), ont révélé l’existence d’une petite fantaisie pour flûte de Tamino, destinée à être jouée pendant l’épreuve du silence. Dans la lignée de ce qu’avait proposé René Jacobs dans son intégrale pour Harmonia Mundi, Wåhlberg intègre l’ensemble des dialogues parlés, enrichis de divers bruitages pour créer un véritable Hörspiel.
L’originalité de ce disque réside d’abord dans le choix d’un effectif orchestral réduit, choix basé sur des documents de représentations au Theater an der Wieden, où fut créée La Flûte enchantée. En plus des instruments à vent, l’ensemble ici réuni se compose de six violons, deux altos, deux violoncelles, sans contrebasse, une absence qui pourrait faire débat. Mozart mentionne en effet spécifiquement une ligne de « bassi » dans son manuscrit, avec quelques passages réservés aux seuls « violoncelli ». Ce format orchestral allégé renouvelle l’écoute de l’œuvre, mettant en valeur l’engagement sans faille des musiciens de l’Orkester Nord. Les cordes en boyau se déploient avec une belle souplesse, les vents offrent des teintes chaleureuses, et les cuivres naturels, très mis en avant, donnent une impression de légère rugosité. Si Martin adopte des tempi relativement vifs et laisse ses chanteurs ornementer à souhait, la respiration reste ample, loin de toute rigidité académique « baroqueuse ».
Martin Wåhlberg - © Antoine Thiallier
Martin Wåhlberg a voulu une distribution jeune et homogène. Il a ainsi fait le choix radical de confier le rôle de Pamina à une soprano de 16 ans, la très talentueuse Ruth Williams. Il est vrai que le rôle avait été créé en 1791 par la jeune Anna Gottlieb, alors âgée de dix-sept ans (et première Barbarina dans Les Noces de Figaro à seulement douze ans). Ce choix transfigure le personnage : loin de l’héroïne romantique incarnée au disque par Irmgard Seefried ou Gundula Janowitz, on découvre ici une Pamina adolescente, dont le timbre juvénile évoque presque celui des Drei Knaben. Ruth Williams est une véritable révélation : sa voix, d’une pureté saisissante, allie fraîcheur et expressivité, conférant à Pamina une fragilité et une innocence inédites.
On s’en doutera : ce qui fait le prix de la distribution vocale, c’est son homogénéité, plus que la somme des individualités. On pourra préférer au disque tel ou tel chanteur dans un rôle. Ainsi, le Monostatos d’Olivier Trommenschlager est un rien hésitant, et le Sarastro de Bastian Kohl, aux graves solides, manque un peu de souplesse dans le legato de ses deux arias. On retiendra en revanche le Tamino souple et émouvant d’Angelo Pollak, le Papageno de Manuel Walser à la belle ligne vocale et à l’énergie communicative, ou encore la Reine de la Nuit redoutable de précision de Pauline Texier, sans oublier trois Knaben tout simplement miraculeux (Felix Hofbauer, Ludwig Meier-Meitinger, Benedikt Eberl).
On l’aura compris : peu importent les très légers défauts qui parsèment çà et là le disque, cette Flûte séduit avant tout par sa cohérence d’ensemble et par le souffle irrésistible de fraîcheur qu’elle insuffle à une œuvre que l’on ne cesse, décidément, de (re)découvrir. Après tout, si l’on accepte – ou tolère – que des metteurs en scène réinterprètent et questionnent les œuvres lyriques, pourquoi ne pas en faire de même en termes d’exécution musicale ?