Contrairement à sa musique lyrique, l’œuvre sacré de Vivaldi semble avoir été exploré dans sa totalité. A défaut de pouvoir, comme sur le florilège profane qui paraît simultanément, nous dévoiler des pages inédites, Delphine Galou et l’Accademia Bizantina évitent les tubes (Stabat Mater, Nisi Dominus) et s’intéressent à trois pièces majeures qui se hissent au même niveau d’inspiration : les deux introductions au Miserere et le Salve Regina en sol mineur RV 618, très prisés des connaisseurs et déjà servis par quelques fort belles versions. Le répertoire constitue le principal attrait d’un enregistrement inégal où la réalisation instrumentale, superlative, éclipse souvent la prestation nettement moins accomplie de la soliste.
L’accompagnato sur lequel s’ouvre le disque et par lequel débute le motet Filiae maestae Jerusalem nous saisit par son ton oppressant et cet art du dire que soulignait Clément Demeure en commentant l’autre album gravé par la même équipe. Ottavio Dantone opte pour un tempo relativement allant, lequel réduit les longues tenues en ménageant ainsi le souffle, modeste, de la chanteuse, et lui offre un soutien idéal tout au long de l’aérien et très suave Sileant Zephiri. Delphine Galou déploie ses ailes légères, varie les intonations et les éclairages pour nous en offrir une reprise poétique et finement ouvragée. Le récitatif suivant, en revanche, exige une émission autrement incisive et des contrastes vigoureux, or seul l’orchestre traduit son puissant dramatisme. Pointé à plusieurs reprises et sous diverses plumes, le déficit de projection de cet « alto de chambre » pose surtout problème à la scène, notamment dans des acoustiques aussi différentes que le Théâtre de la Monnaie et l’Opéra de Versailles. « On sait aussi la voix fort ténue », observe notre collègue, et de préciser que « le disque a le bon goût de ne pas lui inventer une ampleur qu’elle n’a pas en respectant un bel équilibre avec l’excellente Accademia Bizantina. » Cet équilibre, hélas, nous semble rompu, en particulier dans le Salve Regina où cet organe fluet, à la dynamique extrêmement réduite et aux graves éteints peine à exister face à la plénitude sonore de l’orchestre. Les idées ont besoin de matière pour prendre forme… C’est d’autant plus dommage que, dès les première mesures, Ottavio Dantone allège les textures et se montre bien plus suggestif que Fabio Biondi à la tête d’Il Seminario Musicale (Virgin Classics), créant un climat mystérieux et propice au recueillement. Ce ne sont pas seulement les limites vocales de Delphine Galou qui nous font regretter Gérard Lesne, la richesse de son timbre et sa rondeur, mais aussi une théâtralité hors sujet, comme si elle voulait compenser la faiblesse de ses moyens par un geste démonstratif. Or, les effets paraissent plaqués dans « O clemens, O pia, o dulcis » quand la ferveur, sans apprêts inutiles, de Gérard Lesne sublimait cette merveilleuse prière.
Le récitatif liminaire de Non in pratis (RV 641), l’autre introduction au Miserere, nous permet de retrouver les qualités rhétoriques de l’artiste, mais il faut un minimum de substance pour assumer le poids des affects et l’accompagnato qui suit nous laisse à nouveau un sentiment d’incomplétude. « Petit hymne anecdotique » décrétait Roger-Claude Travers au début des années 90 en découvrant le Deus tuorum militum pour alto et ténor exhumé par Vittorio Negri dans le cadre de l’intégrale publiée par Philips. Son jugement nous paraît aujourd’hui excessif. A sa décharge, cet hymne vespéral était plombé par une exécution prosaïque et, à dire vrai, celle de Robert King, tout aussi plate et sans ressort, n’a pas mieux vieilli. Rejoints par Alessandro Giangrande, Delphine Galou et Ottavio Dantone impriment à ce chant d’allégresse un élan salutaire qui renouvelle complètement notre écoute. L’antienne mariale Regina Coeli RV 615 « est écrite pour une tessiture de ténor léger, un registre que maîtrisaient plusieurs chanteuses de la Pietà » (Michael Talbot), mais s’y engager serait suicidaire pour la Française. Alessandro Giangrande affronte mieux les trompettes qu’un ambitus difficile et ses disparités de timbre nous donnent un peu le mal de mer. Terminons avec le meilleur, plutôt inattendu, ce concerto pour violon a due cori en ré majeur (RV 582) qui illumine le cœur du programme. Ecrit pour le dimanche de l’Assomption, il devait mettre en valeur la virtuosité d’une élève de Vivaldi à l’Ospedale de la Pietà, Anna Maria. Alessandro Tampieri lui succède aujourd’hui et sa performance nous comble, le panache le disputant à une musicalité raffinée (ce Grave en apesanteur). Notons qu’il signe également l’ébouriffant et grisant capriccio du dernier mouvement, une fulgurance qui tranche évidemment avec le reste de l’album.