Depuis quelques années, Placido Domingo s’est offert une seconde carrière de baryton avec des succès divers. Disons-le d’emblée, sa prise de rôle en Nabucco est certainement l’une de ses incarnations les plus achevées. Certes, le timbre de la voix est indubitablement celui d’un ténor alors que le rôle a été écrit par Verdi pour un baryton. Certes, la tension dans l’aigu, qui coïncide pour un baryton au moment les plus intenses dramatiquement, est ici largement évacuée, le chanteur espagnol ayant de la réserve en ce qui concerne le haut de la tessiture. Certes encore, la cabalette n’est pas interprétée avec toute l’agilité nécessaire. Mais une fois acceptées ces limites importantes, il n’en reste pas moins que Domingo campe un Nabucco assez exceptionnel, avec un charisme intact, tour à tour brutal en monarque intransigeant, bouleversant en père déchiré ou dans une scène de folie magistralement interprétée. Une incarnation qui fera date.
Autre atout de cet enregistrement, la phénoménale Abigaïlle de Liudmyla Monastyrska qui allie une interprétation subtile à une maîtrise vocale insolente, capable d’assumer des sauts de registres inhumains sans compromis avec la musicalité. En salle, le public était noyé sous les décibels, à l’enregistrement, on appréciera peut-être davantage un personnage nuancé qui sait colorer pour donner son sens au texte. En Zaccaria, Vitalij Kowaljow manque du charisme nécessaire, chantant correctement mais sans investissement particulier. Ce n’est pas le reproche qu’on fera à l’excellent Andrea Caré, jeune ténor électrisant, ni à Marianna Pizzolato, presque un luxe en Fenena.
Mais la réussite du spectacle doit aussi beaucoup à la direction fiévreuse de Nicola Luisotti, rythmée sans jamais tomber dans la fanfare et capable des plus beaux abandons dans les moments élégiaques. L’orchestre du Royal Opera House se hisse cette fois à un très haut niveau, ainsi que les chœurs, magnifiques dans le « Va pensiero » pourtant si rebattu.
La faiblesse de ce spectacle vient néanmoins de la mise en scène de Daniele Abbado. Passons sur la modernisation moyennement assumée (Abbado ne va pas jusqu’à représenter la Shoah mais ça y ressemble un peu) : le pire est une direction d’acteurs inexistante qui se contente de positionner les chanteurs sur scène, ceux-ci ne pouvant compter que sur leurs seules ressources dramatiques personnelles. On imagine avec regret quel résultat une telle distribution aurait pu accomplir avec un autre soutien dramatique. Autre faiblesse : des costumes contemporains quasi identiques pour les Juifs et les Babyloniens, ce qui efface le rapport de vassalité entre les deux peuples et qui ne contribue pas à la lisibilité de l’action. Seule réussite indiscutable, le « Va pensiero » où les Juifs semblent aller au supplice.
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