Lorsqu’on pense « musique chorale a cappella, XXe siècle français », on pense forcément à Poulenc, Figure humaine étant l’Everest indépassable, la référence absolue en la matière. Pourtant, une fois de plus, selon une métaphore galvaudée mais qui ne se dément pas, l’arbre Poulenc cache une bien belle forêt, que nous invite heureusement à parcourir le disque que vient d’enregistrer le chœur Arsys Bourgogne (qui fêtera l’an prochain ses vingt ans, comme Forum Opéra).
Pourquoi s’intitule-t-il Naissance de Vénus ? Parce que c’est un titre alléchant, sans doute, même si les quatre pièces brévissimes (à peine plus de cinq minutes en tout) que Darius Milhad a réunies sous ce titre ne sont peut-être pas ce qu’il y a de plus marquant dans ce programme. Non, toutes considérations de marketing mises à part, s’il fallait choisir une œuvre emblématique, on se tournerait plutôt vers les Cinq Rechants d’Olivier Messiaen. Si Un soir de neige représente admirablement la force incontestable du chêne Poulenc, cette composition d’un Messiaen tout juste quadragénaire, en pleine affirmation de son génie (c’est l’époque de la Turangalîla Symphonie), se dresse comme un sapin vigoureux, et l’on s’étonne qu’une partition aussi sempervirens ne soit pas mieux connue et plus souvent donnée. Mettant en musique ses propres poèmes, en partie écrits dans une langue imaginaire, le compositeur explore sans contraintes toutes les possibilités de la voix humaine dans son opulente nudité.
A leurs côtés, il convient de saluer ces deux hêtres jumeaux et pourtant si dissemblables, Debussy et Ravel, sur qui s’ouvre le disque, dont les Trois chansons (« de Charles d’Orléans » pour l’aîné, de lui-même pour le cadet) sont des classiques du genre. Viennent ensuite d’autres arbres, qui suscitent un peu moins l’admiration : en matière d’écriture chorale, le frène Florent Schmitt paraît bien plus inspiré dans son Psaume XLVII, malgré un beau « Bonnet vole » (peut-être faudrait-il entendre l’intégralité d’A contre-voix pour mieux juger), et le résineux Canteloube, privé de l’habillage orchestral dont il avait su parer ses Chants d’Auvergne, semble ici presque naïf.
De toutes ces pages, le chœur Arsys Bourgogne conduit par Mihály Zeke, son directeur musical depuis 2015, donne une interprétation fervente et raffinée, dans l’acoustique parfois un peu froide de la Ferme de Villefavard, « centre de rencontres artistiques » situé à une cinquantaine de kilomètres de Limoges. Puisse ce bel ensemble vocal poursuivre encore longtemps son travail de débrouissaillage et nous révéler bien d’autres arbres encore, tout aussi pleins de sève.