On connait des mélomanes, et non des moindres, qui placent au firmament de la musique toutes les apparitions de Nathalie Stutzmann. Ces admirateurs ressortent transportés d’un concert de leur idole, et lorsqu’on leur demande des points de comparaison, ce sont carrément Kathleen Ferrier ou Christa Ludwig qui sont convoquées. Il est vrai que l’artiste a une sincérité que nul ne peut mettre en doute, et une façon d’établir une intimité avec le public qui désarme les esprits chagrins. En apprenant qu’Erato rééditait ses cycles schubertiens, on s’apprêtait à passer un grand moment musical. Hélas, à l’arrivée, il nous faut déchanter, et sérieusement. Tentons d’analyser les raisons de cette déception.
Il y a d’abord un problème de prise de son. Quand bien même les pochettes proclament fièrement qu’il s’agit d’un remastering de bandes originales captées par Calliope entre 2003 et 2008, ce qu’on entend ici tient de l’amateurisme : voix tour à tour trop proche ou trop lointaine, écarts soudains de dynamiques, piano grésillant dès qu’il dépasse le mezzo forte… Tous les défauts d’un ingénieur du son débutant, d’autant plus inacceptables qu’il s’agit d’enregistrements de studio. Dans un répertoire où il faut instaurer une complicité avec l’auditeur, essayer d’abolir toutes les distances, c’est rédhibitoire.
Ensuite, il y a la voix de Nathalie Stutzmann elle-même. On touche là les limites de la critique, tant l’appréciation est subjective. Des milliers de personnes jurent entendre dans ce timbre abyssal l’écho des entrailles de la terre elle-même. Pour notre part, nous confessons être réticent face à ces sons trop voilés, à une émission pas suffisamment franche, à un timbre très vite ingrat dès qu’il doit monter un peu au dessus de sa zone de confort. Mais ce ne sont là que des questions de goût personnel, répétons-le. Plus graves : les problèmes de technique vocale que la chanteuse semble rencontrer. La façon de passer d’une note grave vers une note aigüe en haussant progressivement le ton, sans attaque nette, provoque un effet de « hululement » malvenu. Est-ce voulu, comme un moyen de renforcer l’expression ? Peut-être. Nous ne pouvons en tous cas y adhérer, et sa répétition a quelque chose d’insupportablement crispant, quand elle ne donne pas carrément le mal de mer à force de malmener la justesse
Finalement, il nous faut mentionner l’accompagnement d’Inger Södergren. Malgré les fleurs que lui lance sa partenaire dans l’interview accompagnant le coffret, la façon dont la pianiste suédoise rend sa partie est peu orthodoxe. Traits insuffisamment fluides dans les lieder aquatiques de la Schöne Müllerin, accords martelés trop fort dans Winterreise, voire changements de rythme complètement loupés dans Schwanengesang (« Der Atlas »). On comprend que l’instrumentiste a voulu livrer quelque chose de différent, d’inédit, mais on ne saisit pas où elle veut en venir exactement, et tout cela dénote un manque de confiance dans l’écriture de Schubert.
Les partisans de Nathalie Stutzmann mettront en avant la sincérité de ces trois disques, l’engagement de la chanteuse, l’aspect émotionnel qui affleure partout, le soin éditorial apporté à l’ensemble, et … ils auront bien raison. Quant à nous, nous restons de marbre, mais ce n’est qu’un humble avis de chroniqueur. Comme disait Baudelaire, « Pour avoir sa raison d’être la critique se doit d’être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d’horizons. »