A l’heure où les oratorios, requiem et autres pièces sacrées tentent les metteurs en scène pour connaître diverses traductions visuelles, voilà une pièce qui pourrait aisément s’y prêter, sans pour autant tourner à la caricature.
Bellini qualifiait de « divin poème de la douleur » le célèbre Stabat mater de Pergolèse, abondamment diffusé et exécuté tout au long du XVIIIe s!ècle. Comment éviter cette référence, à l’écoute de celui que Logroscino nous offre, 24 ans après ? Oublié par l’histoire au point d’être passé sous silence par Bukofzer, le compositeur n’est guère évoqué que lors d’une controverse relative à « l’invention » de l’opéra bouffe et de son finale, qui réunit tous les protagonistes (le concertato). Avant tout compositeur pour la scène lyrique, diffuseur sinon créateur des procédés propres au comique napolitain, Nicola Logroscino laisse quelques oratorios, des psaumes, et ce Stabat mater, en mi bémol majeur, écrit à Palerme (un autre Stabat mater, en sol mineur, de Caffaro, lui est parfois attribué). Le texte – à la différence de celui de Pergolèse – suit scrupuleusement la séquence, de 20 couplets de trois vers. Les interprètes sont identiques : deux voix de femmes, des cordes et une basse continue. L’Amen final est contrapuntique, comme il se doit. Là s’arrêtent les ressemblances, car l’approche du compositeur est singulière, davantage empreinte de joie confiante que de douleur poignante, recourant à une écriture proprement opératique pour nombre de numéros. La virtuosité y est sollicitée plus d’une fois, avec ses trilles, ses ornements, ses notes répétées, détachées. Nous ne sommes plus dans le style galant mais déjà dans le bel canto. L’expressivité, les contrastes accusés, une écriture aux figuralismes explicites, donnent une touche très personnelle à cette œuvre.
L’orchestre, incisif comme tendre, I Talenti Vulcanici, dirigé avec énergie et précision par Stefano Demicheli, depuis le clavecin, sonne remarquablement. Les contrastes, les couleurs en sont superbes. Giulia Semenzato, dans le Stabat mater comme dans la cantate y est superlative. La voix est ample, libre et épanouie, souple et longue. Le «O quam tristis et afflicta », partie la plus développée du Stabat mater, est admirable. Sa virtuosité et ses qualités stylistiques impressionnent, particulièrement dans le pyrotechnique « Fac, ut ardeat cor meum » et dans le dernier air de la cantate « La mia pena », d’une force expressive rare pour implorer Jupiter. Son partenaire, Raffaele Pe, contreténor familier du répertoire baroque, nous réserve quelques pages tout aussi démonstratives (« Pro peccate suae gentis », par exemple). Des cinq duos, très contrastés, retenons le « Vidit suum dulcem natum » et l’Amen.
En complément, la cantate « Ecco l’ara, ecco il nume » nous narre les soupirs et le désespoir de l’héroïne, trahie dans son amour pour le berger Tircis. Introduits par une sinfonia dont le deuxième mouvement est amoroso , deux récitatifs alternent avec deux airs. Le langage en est celui de l’opéra, avec toute sa richesse. L’œuvre très séduisante, sinon séductrice, s’inscrit parfaitement dans l’air du temps, servie à merveille par des interprètes brillants et engagés. Un concerto pour flûte (traverso baroque) complète agréablement ce CD, qui éclaire cette période peu connue de la riche production napolitaine.
La plaquette, exemplaire, comporte les textes chantés comme la présentation dans trois langues (anglais, français et italien).