Ajouter un nouvel enregistrement aux innombrables versions du Nisi Dominus de Vivaldi intéresse aujourd’hui autant par le choix éditorial que par la prestation musicale.
Vincent Dumestre et son équipe ont mis un soin tout particulier à articuler le programme de ce nouvel opus, de telle sorte que la pièce maîtresse (la seule du reste indiquée en couverture du CD, et c’est bien elle qui attirera l’amateur) apparaisse comme le point culminant d’un cheminement autant spirituel que musical. Si les pièces choisies et présentées en amont du Nisi Dominus ne présentent certes pas toutes le même intérêt (le Giesù diletto sposo de Francisco Soto de Langa rompt quelque peu l’ambiance méditative qui prévaut par ailleurs, sans présenter un intérêt musical fondamental), on admirera le bel ordonnancement des morceaux qui nous conduisent assez naturellement jusqu’à la méditation finale autour du Psaume 127 (126).
Cette pièce virtuose, datant vraisemblablement de 1716, est l’occasion pour Vivaldi, maestro dei concerti à l’hôpital de la Pietà à Venise, de briller certes en tant que compositeur, mais aussi et surtout de faire briller les élèves exceptionnelles qui sont les siennes dans cette institution. Compositeur de génie dirigeant lui-même un orchestre au sommet de sa gloire, solistes virtuoses remarquées par les nombreux voyageurs étrangers qui affluent à l’occasion des concerts, nous sommes là dans un contexte totalement singulier et certainement unique en son genre.
Les huit pièces de l’enregistrement sont centrées sur la louange divine. Les compositeurs rassemblés dans ce disque ont comme point commun d’avoir exercé à une époque de renouveau de la foi catholique, après les difficiles années qui ont suivi la Réforme luthérienne. Dans les nouvelles confréries de dévotion se développe une conception originale de la spiritualité, axée davantage sur les œuvres de miséricorde et sur la louange que sur la mortification, qui rappelait trop les sombres moments de la Réforme. De plus, l’usage se développant de la langue « vulgaire » ( la vulgate étant ici l’italien en lieu et place du latin), devait permettre aux auditeurs, par une meilleure compréhension des textes proposés, de s’associer davantage et de se rassembler dans l’action de grâce.
L’autre fil rouge de l’enregistrement, ce sont les figures féminines, qu’elles soient interprètes, sujets ou destinataires de l’œuvre (ainsi, la Sinfonia funebre de Pietro Antonio Locatelli a-t-elle été composée pour les funérailles de son épouse). La nouvelle spiritualité de dévotion, que nous évoquions et qui est directement issue de la Contre-Réforme, met aussi en avant la figure de Marie (O vergin santa , louange méditative qui ouvre le programme avec les deux voix d’Eva Zaïcik et Déborah Cachet se rejoignant dans un chant qui introduit l’auditeur dans l’ambiance de recueillement, et O dolcezza de Serafino Razzi).
Nous retrouvons Eva Zaïcik avec bonheur. Dans un registre bien différent de celui dans lequel nous l’avions découverte, elle convainc à nouveau par la sûreté du timbre. La chaleur, la ferveur même de la voix nous accompagnent dans l’invocation au Christ invincible (motet Invicti Bellate) même si les coloratures de l’Alleluia manquent encore d’assurance.
Le Nisi Dominus et le Sicut sagittae sont pris sur un tempo allègre. La voix est bien placée, les graves ressortent parfaitement, les ornements sont maitrisés. Le Vanum est vobis est admirable de sérénité, tout comme le Cum dederit , apaisé où est proposé un avant-goût de l’éternité (le somnum étiré à n’en plus finir)
Vincent Dumestre et les vingt musiciens de son Poème Harmonique, sur terres connues, bénéficient d’une prise de son qui met en avant une belle réverbération et qui profite de l’excellente acoustique de la Chapelle Corneille à Rouen. On lui saura gré d’avoir placé dans son programme des pièces moins connues mais qui, à l’instar de la Sinfonia funebre de Pietro Antonio Locatelli évoquée plus haut, complètent harmonieusement un programme intéressant, mais un peu chiche avec une toute petite heure de musique au total.